Protéger la dignité des justiciables dans les palais de justice du Québec : un cas de corégulation face à l'échec de l'autorégulation disciplinaire des journalistes
Marc-François Bernier
Université d'Ottawa
2007 IAMCR Conference
Paris
En 2005, réagissant à des cas de harcèlement médiatique de certains justiciables très connus du
public, le Juge en chef du Québec a imposé des restrictions aux représentants des médias
d’information oeuvrant à l’intérieur des palais de justice. Jusqu’alors, les journalistes et les
caméramans pouvaient y circuler comme bon leur semblait, s’agglutiner autour des justiciables
ou de leurs procureurs, ou encore se livrer à des cavalcades dans les corridors pour obtenir des
images de ceux qui cherchaient à leur échapper au sortir des salles d’audience. Les nouvelles
règles imposées par le Juge en chef ont pour effet de limiter à des aires précises la prise d’images
et la réalisation d’entrevues. Il est devenu impossible pour les médias de harceler les justiciables,
les officiers de justice et tout citoyen à l’intérieur des palais de justice. Les représentants des
médias doivent maintenant réaliser leurs entrevues à des endroits précis plutôt que d’extorquer
des commentaires et des images contre la volonté des justiciables. Les nouvelles règles ne
s’appliquent pas à l’extérieur des palais de justice.
Plaidant qu’elles contrevenaient à la liberté de presse protégée par les Chartes canadienne et
québécoise des droits et libertés de la personne, les entreprises de presse ont contesté ces règles
devant les tribunaux civils du Québec, en faisant valoir notamment que les médias étaient en
mesure de s’autoréguler pour éviter de futurs débordements.
Dans la présente contribution, nous allons soutenir que les nouvelles règles qui limitent la
mobilité des médias constituent une forme de corégulation qui n’attaque nullement la liberté de
presse - les procès demeurant publics et accessibles aux journalistes et les entrevues avec les
justiciables pouvant être réalisées dans d’autres lieux - tout en protégeant des citoyens se trouvant
en situation de vulnérabilité. De même, nous soutenons que les mesures sont compatibles avec les
principes éthiques et les normes déontologiques que les journalistes se sont librement donnés en
matière d’équité.
Il faudra notamment définir, caractériser et distinguer les concepts d’autorégulation et de
corégulation, et rappeler que l’autorégulation ne coïncide pas ou ne permet pas nécessairement
une réelle autodiscipline de la part des journalistes. Par ailleurs, à l’aide du cas du Québec, nous
montrerons que les tribunaux civils, quand ils font reposer leurs décisions sur les règles de l’art
élaborées et reconnues par les journalistes, peuvent suppléer aux limites de l’autorégulation.
(pour lire le document, cliquer sur le titre)
MétaMédias: Site francophone consacré à l'analyse, la critique et la recherche concernant les pratiques journalistiques. Archives de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa (2008-2014)
jeudi, novembre 01, 2007
vendredi, septembre 21, 2007
Un lock-out pour les actionnaires
Le Soleil
Opinions, samedi, 28 avril 2007, p. 33
Analyse
Marc-François Bernier, coordonnateur du programme de journalisme de l'Université d'Ottawa*
Un lock-out pour les actionnaires
Au risque de simplifier à outrance, je résumerais ainsi le lock-out préparé de longue date qui s'est abattu sur les journalistes du Journal de Québec la fin de semaine dernière. Il a comme objectif primordial de maximiser la convergence pour satisfaire les actionnaires et non pas celui d'améliorer la qualité et la diversité de l'information.
La convergence des médias, c'est essentiellement de pouvoir diffuser des textes, des images et du son sur un même support informatique grâce à la numérisation. Elle est une véritable révolution qui transforme profondément et rapidement les façons de faire du journalisme et l'industrie des médias.
À cause de la convergence - ou grâce à elle selon le point de vue - les habitudes de fréquentation des médias sont en mutation. Ainsi, les jeunes lisent peu le journal et il faut les rejoindre autrement pour intéresser les annonceurs. Internet est plus attrayant et interactif que les médias traditionnels. Quant à la publicité, elle se déplace sur d'autres supports que le journal quotidien payant ou la station de télévision généraliste comme TVA. Il y a aussi les journaux gratuits qui se multiplient et la concurrence qui est plus forte que jamais.
Le profit maximal
Quebecor a donc de bonnes raisons de réagir aux changements qui frappent tous les médias d'information. Bien rares sont les journalistes qui nient cette réalité. Il faut modifier les façons de faire révolues. Mais on peut questionner la sagesse et la pertinence de provoquer un conflit de travail pour arriver le plus vite possible à de tels résultats. On peut même croire que ce n'est pas pour améliorer la qualité et la diversité de l'information que Quebecor bouscule ses employés. La principale raison est la recherche du profit maximal à court terme, pour plaire aux actionnaires.
Plusieurs chercheurs soutiennent que, depuis le début des années 80, les médias d'information ont négligé leurs fonctions démocratiques et l'intérêt public pour devenir des entreprises très rentables. Surtout lorsque leurs actions se transigent sur les marchés publics de Toronto et de New York. C'est le mode de propriété des médias et la pression des marchés qui favorisent l'implantation accélérée de stratégies de convergence.
Cela a des effets concrets, et parfois douloureux, sur l'organisation du travail des journalistes qui doivent être plus productifs, non pas en termes de qualité de l'information (celle qui est vraie et sert l'intérêt public notamment), mais en termes de volumes de nouvelles et de reportages produits rapidement, adaptés et diffusés sur plusieurs plates-formes (journal, Internet, télévision, baladodiffusion, radio, téléphones cellulaires, etc.). Cela favorise souvent les reportages triviaux et spectaculaires, au détriment de l'enquête sérieuse, de la vérification rigoureuse ou de l'équité.
En soi, la convergence n'est pas nécessairement une menace pour la démocratie. Au contraire, on pourrait soutenir qu'elle permet plus que jamais la diffusion de l'information à des publics de plus en plus différents et mobiles. Mais elle doit se faire dans le respect de l'intégrité du journalisme.
Or, la convergence à la sauce Quebecor est un mélange plus ou moins subtil de journalisme, de publicité, de messages de persuasion, d'autopromotion et d'autocensure. On l'a vu ces derniers mois quand aucun de ses journalistes n'a critiqué ou dénoncé la faiblesse des reportages portant sur la qualité de l'eau des piscines publiques de Montréal ou encore relevé les failles méthodologiques du sondage sur le prétendu racisme des Québécois.
Pourtant, les journalistes de Quebecor sont souvent excellents, contrairement à ce que croient ceux qui les méprisent et portent le deuil d'un âge d'or du journalisme qui n'a jamais existé. Mais ces journalistes sont à la fois des professionnels qui tentent de résister aux pressions de leurs patrons et des employés obligés de s'y soumettre.
De plus, cette convergence est imposée au sein d'une entreprise de presse dont le poids est déterminant au Québec en raison de la très grande concentration de la propriété des médias. Cela permet à Quebecor d'imposer dans le débat public les enjeux qui favorisent ses tirages et ses cotes d'écoute (faits divers, criminalité, racisme, immigration, spectacles, sports, etc.) et de faire le promotion de ses intérêts d'affaires (artistes, disques, spectacles, livres, magazines, etc.). Il devient alors impossible d'échapper aux messages qui saturent le Québec.
L'enjeu réel
Pour l'instant, les questions de la qualité et de la diversité de l'information n'ont pas encore été invoquées publiquement par les parties qui s'affrontent sur la semaine de travail, la souplesse des conventions collectives, le salaire moyen des journalistes, la délocalisation des annonces classées en faveur de l'Ontario, etc.
Espérons que les enjeux journalistiques liés à la stratégie de convergence de Quebecor vont reprendre la place réelle qu'ils méritent dans le débat public. Ce lock-out va bien au-delà des conditions de travail des employés et des profits anticipés par les actionnaires. Il faudrait bien parler, un jour, du grand détournement de la mission démocratique du journalisme afin de satisfaire des intérêts d'affaires. Cela concerne la majorité des médias d'information, mais est encore plus flagrant au sein de l'empire Quebecor.
* L'auteur a travaillé comme journaliste au "Journal de Québec" de 1986 à 2000. À l'invitation du "Soleil", l'auteur analyse certains enjeux liés au lock-out décrété par Quebecor.
Opinions, samedi, 28 avril 2007, p. 33
Analyse
Marc-François Bernier, coordonnateur du programme de journalisme de l'Université d'Ottawa*
Un lock-out pour les actionnaires
Au risque de simplifier à outrance, je résumerais ainsi le lock-out préparé de longue date qui s'est abattu sur les journalistes du Journal de Québec la fin de semaine dernière. Il a comme objectif primordial de maximiser la convergence pour satisfaire les actionnaires et non pas celui d'améliorer la qualité et la diversité de l'information.
La convergence des médias, c'est essentiellement de pouvoir diffuser des textes, des images et du son sur un même support informatique grâce à la numérisation. Elle est une véritable révolution qui transforme profondément et rapidement les façons de faire du journalisme et l'industrie des médias.
À cause de la convergence - ou grâce à elle selon le point de vue - les habitudes de fréquentation des médias sont en mutation. Ainsi, les jeunes lisent peu le journal et il faut les rejoindre autrement pour intéresser les annonceurs. Internet est plus attrayant et interactif que les médias traditionnels. Quant à la publicité, elle se déplace sur d'autres supports que le journal quotidien payant ou la station de télévision généraliste comme TVA. Il y a aussi les journaux gratuits qui se multiplient et la concurrence qui est plus forte que jamais.
Le profit maximal
Quebecor a donc de bonnes raisons de réagir aux changements qui frappent tous les médias d'information. Bien rares sont les journalistes qui nient cette réalité. Il faut modifier les façons de faire révolues. Mais on peut questionner la sagesse et la pertinence de provoquer un conflit de travail pour arriver le plus vite possible à de tels résultats. On peut même croire que ce n'est pas pour améliorer la qualité et la diversité de l'information que Quebecor bouscule ses employés. La principale raison est la recherche du profit maximal à court terme, pour plaire aux actionnaires.
Plusieurs chercheurs soutiennent que, depuis le début des années 80, les médias d'information ont négligé leurs fonctions démocratiques et l'intérêt public pour devenir des entreprises très rentables. Surtout lorsque leurs actions se transigent sur les marchés publics de Toronto et de New York. C'est le mode de propriété des médias et la pression des marchés qui favorisent l'implantation accélérée de stratégies de convergence.
Cela a des effets concrets, et parfois douloureux, sur l'organisation du travail des journalistes qui doivent être plus productifs, non pas en termes de qualité de l'information (celle qui est vraie et sert l'intérêt public notamment), mais en termes de volumes de nouvelles et de reportages produits rapidement, adaptés et diffusés sur plusieurs plates-formes (journal, Internet, télévision, baladodiffusion, radio, téléphones cellulaires, etc.). Cela favorise souvent les reportages triviaux et spectaculaires, au détriment de l'enquête sérieuse, de la vérification rigoureuse ou de l'équité.
En soi, la convergence n'est pas nécessairement une menace pour la démocratie. Au contraire, on pourrait soutenir qu'elle permet plus que jamais la diffusion de l'information à des publics de plus en plus différents et mobiles. Mais elle doit se faire dans le respect de l'intégrité du journalisme.
Or, la convergence à la sauce Quebecor est un mélange plus ou moins subtil de journalisme, de publicité, de messages de persuasion, d'autopromotion et d'autocensure. On l'a vu ces derniers mois quand aucun de ses journalistes n'a critiqué ou dénoncé la faiblesse des reportages portant sur la qualité de l'eau des piscines publiques de Montréal ou encore relevé les failles méthodologiques du sondage sur le prétendu racisme des Québécois.
Pourtant, les journalistes de Quebecor sont souvent excellents, contrairement à ce que croient ceux qui les méprisent et portent le deuil d'un âge d'or du journalisme qui n'a jamais existé. Mais ces journalistes sont à la fois des professionnels qui tentent de résister aux pressions de leurs patrons et des employés obligés de s'y soumettre.
De plus, cette convergence est imposée au sein d'une entreprise de presse dont le poids est déterminant au Québec en raison de la très grande concentration de la propriété des médias. Cela permet à Quebecor d'imposer dans le débat public les enjeux qui favorisent ses tirages et ses cotes d'écoute (faits divers, criminalité, racisme, immigration, spectacles, sports, etc.) et de faire le promotion de ses intérêts d'affaires (artistes, disques, spectacles, livres, magazines, etc.). Il devient alors impossible d'échapper aux messages qui saturent le Québec.
L'enjeu réel
Pour l'instant, les questions de la qualité et de la diversité de l'information n'ont pas encore été invoquées publiquement par les parties qui s'affrontent sur la semaine de travail, la souplesse des conventions collectives, le salaire moyen des journalistes, la délocalisation des annonces classées en faveur de l'Ontario, etc.
Espérons que les enjeux journalistiques liés à la stratégie de convergence de Quebecor vont reprendre la place réelle qu'ils méritent dans le débat public. Ce lock-out va bien au-delà des conditions de travail des employés et des profits anticipés par les actionnaires. Il faudrait bien parler, un jour, du grand détournement de la mission démocratique du journalisme afin de satisfaire des intérêts d'affaires. Cela concerne la majorité des médias d'information, mais est encore plus flagrant au sein de l'empire Quebecor.
* L'auteur a travaillé comme journaliste au "Journal de Québec" de 1986 à 2000. À l'invitation du "Soleil", l'auteur analyse certains enjeux liés au lock-out décrété par Quebecor.
jeudi, septembre 20, 2007
Discours journalistique et parole ordinaire : analyse d'un rendez-vous manqué
Valérie Croissant et Annelise Touboul
Valérie Croissant enseigne à l'université Nancy 2, GRICP
Annelise Touboul enseigne à l'université Lyon 2, équipe Médias et Identités
Ce texte analyse deux types d'espaces médiatiques dans lesquels la parole des usagers est présentée : les forums des sites Internet de presse et les chroniques du médiateur de Radio France. Dans leur manière de rendre compte de la parole des usagers, ces espaces participent en fait de la délimitation du champs journalistique, et donc de l'accès à la sphère publique. La cadre évenementiel de cette analyse est le référendum français sur la constitution européenne.
(Pour en nsavoir plus, cliquer sur le titre)
Valérie Croissant enseigne à l'université Nancy 2, GRICP
Annelise Touboul enseigne à l'université Lyon 2, équipe Médias et Identités
Ce texte analyse deux types d'espaces médiatiques dans lesquels la parole des usagers est présentée : les forums des sites Internet de presse et les chroniques du médiateur de Radio France. Dans leur manière de rendre compte de la parole des usagers, ces espaces participent en fait de la délimitation du champs journalistique, et donc de l'accès à la sphère publique. La cadre évenementiel de cette analyse est le référendum français sur la constitution européenne.
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jeudi, avril 19, 2007
Un peu de retenue S.V.P.
Un peu de retenue S.V.P.
Pascale Brillon
L'auteure est psychologue spécialisée en stress post-traumatique attachée à la Clinique des troubles anxieux de l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. L'auteure est docteure en psychologie et auteure des livres «Se relever d'un traumatisme» et «Comment aider les victimes souffrant de stress post-traumatique».
Une autre fusillade a eu lieu dans un milieu d'enseignement. Un autre massacre qui a fauché des vies précieuses. Depuis quelques jours, nous sommes submergés des photos de l'horreur. Mais surtout, on a publié de nombreux articles abordant les mobiles, le profil, la vie et les armes du tueur. De multiples émissions portant sur sa façon d'opérer, le trajet qu'il a emprunté, sa manière de tuer les victimes ont même été diffusées. Mais nous sommes-nous seulement questionnés sur l'impact de cette place médiatique et de ces informations sur les personnes fragiles de notre société?
Ce battage médiatique rend le tueur «intéressant». Il est à la Une. On se demande QUI il était, on se préoccupe de ses peurs, de ses rejets, de ses peines, on lui accorde (maintenant) une place immense. On tente de le comprendre. On parle de lui. Avec horreur, presque avec fascination. Il a peut-être vécu une vie minable mais il sera mort dans l'apothéose. Il a peut-être grandi entouré d'indifférence, mais tous les yeux et les médias du monde sont maintenant tournés vers ce qu'il a accompli et vers ses dernières lettres, volontés ou récriminations.
La place médiatique que nous accordons au tueur répond à notre curiosité morbide, à notre quête de sens et à notre besoin de comprendre l'événement. En misant sur cette peur que nous possédons tous, elle fait vendre. Or, pour certains êtres fragiles de notre société, pour certaines personnes en mal de reconnaissance, cette mort violente et médiatisée est non seulement vengeresse mais attirante. Et l'effet d'entraînement de cette tribune extraordinaire que représente la médiatisation ne devrait pas être minimisé.
Et le devoir journalistique?
Mais alors, qu'en est-il de la liberté de la presse? Du devoir journalistique? (...)
(Publié dans La Presse, jeudi 19 avril 2007). Cliquer sur le titre pour lire au complet
Pascale Brillon
L'auteure est psychologue spécialisée en stress post-traumatique attachée à la Clinique des troubles anxieux de l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. L'auteure est docteure en psychologie et auteure des livres «Se relever d'un traumatisme» et «Comment aider les victimes souffrant de stress post-traumatique».
Une autre fusillade a eu lieu dans un milieu d'enseignement. Un autre massacre qui a fauché des vies précieuses. Depuis quelques jours, nous sommes submergés des photos de l'horreur. Mais surtout, on a publié de nombreux articles abordant les mobiles, le profil, la vie et les armes du tueur. De multiples émissions portant sur sa façon d'opérer, le trajet qu'il a emprunté, sa manière de tuer les victimes ont même été diffusées. Mais nous sommes-nous seulement questionnés sur l'impact de cette place médiatique et de ces informations sur les personnes fragiles de notre société?
Ce battage médiatique rend le tueur «intéressant». Il est à la Une. On se demande QUI il était, on se préoccupe de ses peurs, de ses rejets, de ses peines, on lui accorde (maintenant) une place immense. On tente de le comprendre. On parle de lui. Avec horreur, presque avec fascination. Il a peut-être vécu une vie minable mais il sera mort dans l'apothéose. Il a peut-être grandi entouré d'indifférence, mais tous les yeux et les médias du monde sont maintenant tournés vers ce qu'il a accompli et vers ses dernières lettres, volontés ou récriminations.
La place médiatique que nous accordons au tueur répond à notre curiosité morbide, à notre quête de sens et à notre besoin de comprendre l'événement. En misant sur cette peur que nous possédons tous, elle fait vendre. Or, pour certains êtres fragiles de notre société, pour certaines personnes en mal de reconnaissance, cette mort violente et médiatisée est non seulement vengeresse mais attirante. Et l'effet d'entraînement de cette tribune extraordinaire que représente la médiatisation ne devrait pas être minimisé.
Et le devoir journalistique?
Mais alors, qu'en est-il de la liberté de la presse? Du devoir journalistique? (...)
(Publié dans La Presse, jeudi 19 avril 2007). Cliquer sur le titre pour lire au complet
lundi, mars 12, 2007
L'idéal journalistique : comment des prescripteurs définissent le « bon » message médiatique.
(Cahiers du journalisme, automne 2006)
Depuis le début des années 1960, les journalistes québécois ont développé un vaste argumentaire pour définir et affirmer leur mission. Souvent considérés comme des « ratés » n’ayant pu accéder à quelque noble profession, on peut voir dans le militantisme qui a marqué les décennies 1960 et 1970 un travail de légitimation professionnelle et de valorisation sociale de la part des journalistes. Ces derniers ont abondamment insisté pour se démarquer de la mission commerciale des entreprises de presse qui les emploient, au nom du droit du public à l’information, condition nécessaire à la qualité de la vie démocratique selon eux.
Cette rhétorique a été reprise et soutenue par bon nombre d’acteurs sociaux extérieurs à la profession qui en ont fait tantôt le fondement de leur défense du journalisme face à des menaces appréhendées (concentration de la propriété, convergence des médias, etc.), tantôt le fondement des rappels à l’ordre adressés aux journalistes, lorsque ces derniers s’engageaient dans des pratiques jugées non conformes ou déviantes aux normes reconnues (conflit d’intérêts, information spectacle, manque de rigueur, etc.).
Depuis le début des années 1960 surtout, le journalisme québécois s’est donné un système normatif explicite, à l’image de ce qui existe dans son environnement nord-américain, c’est-à-dire anglo-saxon.
(Pour en lire davantage, cliquer sur le titre)
Depuis le début des années 1960, les journalistes québécois ont développé un vaste argumentaire pour définir et affirmer leur mission. Souvent considérés comme des « ratés » n’ayant pu accéder à quelque noble profession, on peut voir dans le militantisme qui a marqué les décennies 1960 et 1970 un travail de légitimation professionnelle et de valorisation sociale de la part des journalistes. Ces derniers ont abondamment insisté pour se démarquer de la mission commerciale des entreprises de presse qui les emploient, au nom du droit du public à l’information, condition nécessaire à la qualité de la vie démocratique selon eux.
Cette rhétorique a été reprise et soutenue par bon nombre d’acteurs sociaux extérieurs à la profession qui en ont fait tantôt le fondement de leur défense du journalisme face à des menaces appréhendées (concentration de la propriété, convergence des médias, etc.), tantôt le fondement des rappels à l’ordre adressés aux journalistes, lorsque ces derniers s’engageaient dans des pratiques jugées non conformes ou déviantes aux normes reconnues (conflit d’intérêts, information spectacle, manque de rigueur, etc.).
Depuis le début des années 1960 surtout, le journalisme québécois s’est donné un système normatif explicite, à l’image de ce qui existe dans son environnement nord-américain, c’est-à-dire anglo-saxon.
(Pour en lire davantage, cliquer sur le titre)
dimanche, février 25, 2007
Petit guide médiatique pour électeur sérieux
Par Marc-François Bernier
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d’Ottawa
mbernier@uottawa.ca
Publié dans Le Droit, le 2 mars 2007
Une campagne électorale, c’est l’emballement des machines politiques et médiatiques qui carburent à la stratégie afin de tirer profit de certaines faiblesses des électeurs que nous sommes, qui préférons souvent être séduits et divertis plutôt que rigoureusement et sérieusement informés des enjeux dont dépendent notre avenir.
Pour ceux qui prennent encore au sérieux l’exercice électoral et qui croient que les journalistes ont un rôle important d’information des citoyens, la présente campagne électorale risque encore de s’avérer décevante. Toute campagne implique trois groupes d’acteurs : les candidats (et leur entourage), les journalistes et le public. Malheureusement, des recherches et plusieurs critiques soutiennent que les candidats et les journalistes sont tellement obsédés les uns par les autres qu’ils en oublient souvent le public. Il est donc justifié d’avoir les médias à l’œil, un exercice critique peu coutumier au Québec.
Pour débuter ce petit guide, voici comment les médias devraient agir afin de forcer les acteurs politiques à respecter le droit des électeurs à des débats intelligents, honnêtes et substantiels.
Leur premier défi sera de ne pas être les complices des attaques vicieuses et mesquines des uns et des autres. En refusant de jouer ce jeu, ils forceront les candidats à trouver de meilleures façons de faire parler d’eux.
Un autre défi sera de servir constamment le droit du public à une information de qualité, en forçant les candidats et leurs stratèges à démontrer la véracité de leurs affirmations et le réalisme de leurs engagements. Ce travail critique pourra se substituer à la diffusion des sarcasmes, de phrases assassines et des attaques personnelles des adversaires politiques qui partagent pourtant le même intérêt à ne pas justifier leurs propres affirmations et engagements.
Toujours dans l’esprit du service public, on devrait empêcher les acteurs politiques de nous intoxiquer impunément avec des déclarations faites sous le couvert de l’anonymat, les sources anonymes étant de puissants vecteurs de désinformation. À ne pas oublier que les organisations politiques essaient d’influencer, sinon de manipuler l’opinion publique par le biais des médias et que bien des journalistes résistent peu aux leurres des scoops vite démentis ou récupérés publiquement par les mêmes qui les ont discrètement glissés à l’oreille du reporter.
La rigueur intellectuelle devrait convaincre les journalistes de ne pas diffuser des résultats de sondages aux méthodologies douteuses, tandis que le souci des débats substantiels devrait limiter le nombre de sondages sur les intentions de vote. Ces sondages mettent certes du piquant dans la course et de l’action dans les reportages, mais ils sont faibles en octane démocratique. Il faut à ce chapitre saluer la décision de la Société Radio-Canada de ne pas commander de sondages sur les intentions de vote (il y en aura déjà beaucoup d’autres de toute façon), afin de se concentrer sur des débats de fond.
D’autre part, les médias devraient documenter des enjeux importants pour les citoyens en se fiant à des sources compétentes et neutres. Cela est encore plus pertinent pour les chaînes d’information continue, où on oblige trop souvent les journalistes à remplir du temps d’antenne avec des propos répétitifs, des approximations et des affirmations douteuses parce qu’on ne leur donne pas le temps de tout vérifier avant de passer en ondes.
En matière de diversité, il serait apprécié que les médias, surtout les médias électroniques, soient plus imaginatifs dans leur choix d’invités pour nous présenter des points de vue différents, marginaux, voire provocateurs. De même, on souhaite qu’ils nous épargnent l’omniprésence de pseudo experts en tout et en rien dont on nous cache trop souvent les accointances partisanes.
La liste pourrait s’allonger, mais la commande est déjà très ambitieuse. Certains, désabusés ou plus lucides peut-être, diront trop ambitieuse.
Indices de méfiance
Pour compléter ce modeste guide médiatique de l’électeur sérieux, voici quelques indices qui devraient nous inciter à se méfier car l’intérêt médiatique (celui des médias, celui des journalistes, etc.) peut facilement supplanter l’intérêt public.
Il y a lieu de se méfier quand un journaliste de la télévision ou de la radio est plus intéressé par ses jeux de mots que par la substance de ses reportages qui ne nous disent rien sur les engagements des candidats et leurs raisons de les proposer aux électeurs. Et quand un journaliste, surtout de la presse écrite, rapporte les propos de sources anonymes, sachons que, le plus souvent, il se laisse utiliser par ceux qui veulent manipuler l’opinion publique pour en tirer un meilleur profit partisan.
De même quand, au terme d’entrevue télévisée ou radiophonique, nous avons l’impression d’en savoir davantage sur l’opinion du journaliste que sur celle de son invité, il y a là un sérieux indice de l’intention non pas de nous informer, mais de nous persuader.
Par ailleurs, nous devons avoir le sage réflexe de n’accorder aucune crédibilité au journaliste qui passe quelques heures dans un comté, mais prétend néanmoins nous dire ce qu’est vraiment l’allure de la campagne locale. Le plus souvent, cela repose à la fois sur une méconnaissance des lieux et sur la force de persuasion de certains organisateurs politiques.
Bien entendu, nous avons tous nos biais partisans et nos préférences. Cela influence grandement le regard critique que nous posons sur le travail des journalistes et la couverture médiatique quotidienne. Cela nous incite parfois à nous exposer avec complaisance et à répétition aux messages qui nous plaisent et à rejeter trop facilement ceux qui nous choquent. S’informer ne doit pas être un comportement d’auto persuasion. Au contraire, c’est faire face aux faits qui ébranlent nos croyances et nous déstabilisent.
Il y a donc lieu, finalement, de se méfier même des convictions que nous possédons, car elles nous possèdent aussi au point de contaminer notre bon jugement, comme l’a écrit le sociologue français Edgar Morin.
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d’Ottawa
mbernier@uottawa.ca
Publié dans Le Droit, le 2 mars 2007
Une campagne électorale, c’est l’emballement des machines politiques et médiatiques qui carburent à la stratégie afin de tirer profit de certaines faiblesses des électeurs que nous sommes, qui préférons souvent être séduits et divertis plutôt que rigoureusement et sérieusement informés des enjeux dont dépendent notre avenir.
Pour ceux qui prennent encore au sérieux l’exercice électoral et qui croient que les journalistes ont un rôle important d’information des citoyens, la présente campagne électorale risque encore de s’avérer décevante. Toute campagne implique trois groupes d’acteurs : les candidats (et leur entourage), les journalistes et le public. Malheureusement, des recherches et plusieurs critiques soutiennent que les candidats et les journalistes sont tellement obsédés les uns par les autres qu’ils en oublient souvent le public. Il est donc justifié d’avoir les médias à l’œil, un exercice critique peu coutumier au Québec.
Pour débuter ce petit guide, voici comment les médias devraient agir afin de forcer les acteurs politiques à respecter le droit des électeurs à des débats intelligents, honnêtes et substantiels.
Leur premier défi sera de ne pas être les complices des attaques vicieuses et mesquines des uns et des autres. En refusant de jouer ce jeu, ils forceront les candidats à trouver de meilleures façons de faire parler d’eux.
Un autre défi sera de servir constamment le droit du public à une information de qualité, en forçant les candidats et leurs stratèges à démontrer la véracité de leurs affirmations et le réalisme de leurs engagements. Ce travail critique pourra se substituer à la diffusion des sarcasmes, de phrases assassines et des attaques personnelles des adversaires politiques qui partagent pourtant le même intérêt à ne pas justifier leurs propres affirmations et engagements.
Toujours dans l’esprit du service public, on devrait empêcher les acteurs politiques de nous intoxiquer impunément avec des déclarations faites sous le couvert de l’anonymat, les sources anonymes étant de puissants vecteurs de désinformation. À ne pas oublier que les organisations politiques essaient d’influencer, sinon de manipuler l’opinion publique par le biais des médias et que bien des journalistes résistent peu aux leurres des scoops vite démentis ou récupérés publiquement par les mêmes qui les ont discrètement glissés à l’oreille du reporter.
La rigueur intellectuelle devrait convaincre les journalistes de ne pas diffuser des résultats de sondages aux méthodologies douteuses, tandis que le souci des débats substantiels devrait limiter le nombre de sondages sur les intentions de vote. Ces sondages mettent certes du piquant dans la course et de l’action dans les reportages, mais ils sont faibles en octane démocratique. Il faut à ce chapitre saluer la décision de la Société Radio-Canada de ne pas commander de sondages sur les intentions de vote (il y en aura déjà beaucoup d’autres de toute façon), afin de se concentrer sur des débats de fond.
D’autre part, les médias devraient documenter des enjeux importants pour les citoyens en se fiant à des sources compétentes et neutres. Cela est encore plus pertinent pour les chaînes d’information continue, où on oblige trop souvent les journalistes à remplir du temps d’antenne avec des propos répétitifs, des approximations et des affirmations douteuses parce qu’on ne leur donne pas le temps de tout vérifier avant de passer en ondes.
En matière de diversité, il serait apprécié que les médias, surtout les médias électroniques, soient plus imaginatifs dans leur choix d’invités pour nous présenter des points de vue différents, marginaux, voire provocateurs. De même, on souhaite qu’ils nous épargnent l’omniprésence de pseudo experts en tout et en rien dont on nous cache trop souvent les accointances partisanes.
La liste pourrait s’allonger, mais la commande est déjà très ambitieuse. Certains, désabusés ou plus lucides peut-être, diront trop ambitieuse.
Indices de méfiance
Pour compléter ce modeste guide médiatique de l’électeur sérieux, voici quelques indices qui devraient nous inciter à se méfier car l’intérêt médiatique (celui des médias, celui des journalistes, etc.) peut facilement supplanter l’intérêt public.
Il y a lieu de se méfier quand un journaliste de la télévision ou de la radio est plus intéressé par ses jeux de mots que par la substance de ses reportages qui ne nous disent rien sur les engagements des candidats et leurs raisons de les proposer aux électeurs. Et quand un journaliste, surtout de la presse écrite, rapporte les propos de sources anonymes, sachons que, le plus souvent, il se laisse utiliser par ceux qui veulent manipuler l’opinion publique pour en tirer un meilleur profit partisan.
De même quand, au terme d’entrevue télévisée ou radiophonique, nous avons l’impression d’en savoir davantage sur l’opinion du journaliste que sur celle de son invité, il y a là un sérieux indice de l’intention non pas de nous informer, mais de nous persuader.
Par ailleurs, nous devons avoir le sage réflexe de n’accorder aucune crédibilité au journaliste qui passe quelques heures dans un comté, mais prétend néanmoins nous dire ce qu’est vraiment l’allure de la campagne locale. Le plus souvent, cela repose à la fois sur une méconnaissance des lieux et sur la force de persuasion de certains organisateurs politiques.
Bien entendu, nous avons tous nos biais partisans et nos préférences. Cela influence grandement le regard critique que nous posons sur le travail des journalistes et la couverture médiatique quotidienne. Cela nous incite parfois à nous exposer avec complaisance et à répétition aux messages qui nous plaisent et à rejeter trop facilement ceux qui nous choquent. S’informer ne doit pas être un comportement d’auto persuasion. Au contraire, c’est faire face aux faits qui ébranlent nos croyances et nous déstabilisent.
Il y a donc lieu, finalement, de se méfier même des convictions que nous possédons, car elles nous possèdent aussi au point de contaminer notre bon jugement, comme l’a écrit le sociologue français Edgar Morin.
vendredi, février 09, 2007
Le cas Drainville : Au-delà de l’apparence de conflit d’intérêts, un manque de prudence et de réflexion éthique
Marc-François Bernier (Ph.D.)
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d'Ottawa
La mutation subite et inattendue de Bernard Drainville, qui se métamorphose de chef du bureau politique de Radio-Canada, à l’Assemblée nationale du Québec, en candidat du Parti québécois, ramène une fois de plus sur la place publique la fameuse question des conflits d’intérêts et, surtout, de l’apparence de conflit d’intérêts.
Ce cas n’est pas le premier. L’histoire politique du Canada et du Québec est jalonnée de journalistes devenus politiciens, et on voit de plus en plus de politiciens devenir journalistes. Ces individus, hommes et femmes, exercent leur droit démocratique et constitutionnel.
Mais cela peut soulever des questions d’éthique professionnelle et le fait d’avoir de tels questionnements plaide pour une analyse sérieuse des faits et des principes en jeu, et non à des procès d’intention.
Les normes journalistiques sont claires. Les journalistes doivent éviter les situations de conflit d’intérêts et même les apparences de conflit d’intérêts car cela nuit à leur crédibilité et met en cause l’intégrité de l’information. Cette intégrité est un élément essentiel de la qualité de l’information, avec la rigueur, l’exactitude, l’équité, la vérité et l’intérêt public. Les conflits d’intérêts, ce sont avant tout des conflits de loyauté.
Le journaliste doit être loyal envers le public en lui diffusant une information de qualité, envers son employeur en respectant le contrat qui les lie, et envers lui-même en respectant sa conscience personnelle et sa dignité. Le conflit, comme l’apparence de conflit, intervient quand un journaliste décide de privilégier, ou semble privilégier un type de loyauté au détriment des autres. Dans le cas présent, il y a apparence que le journaliste aurait pu privilégier ses intérêts personnels et ceux de son futur chef politique au détriment du droit du public à une information de qualité.
Une telle apparence invite à l’analyse de la situation, mais l’analyse sérieuse et équitable ne peut se limiter à cette apparence, elle doit aller au-delà et tenir compte des faits allégués.
Si l’on en croit, le principal intéressé, il a reçu une offre, a aussitôt décidé de se retirer des ondes le temps de sa réflexion, a rejeté l’offre en l’annonçant personnellement au chef André Boisclair et a repris pleinement son statut de journaliste dès le samedi. À ce moment, il ne savait pas que, quelques jours plus tard, soit le mardi, il allait recevoir une autre offre qu’il accepterait. Au moment de son entrevue avec le chef du Parti québécois, André Boisclair, entrevue enregistrée le samedi et diffusée le dimanche, il n’était plus en réflexion et ne savait pas qu’on allait lui revenir avec une nouvelle offre. Dans son esprit, il était redevenu un journaliste pour les semaines et les mois à venir.
Aucun principe éthique, aucune règle déontologie ne prescrivait au journaliste Drainville de se retirer des ondes à la suite de son refus, pour quelque période que ce soit.
Il aurait cependant pu le faire, par simple prudence, en sachant que l’offre rejetée pouvait devenir publique par le biais des fuites calculées, des sources anonymes mal intentionnées et d’une concurrence médiatique parfois douteuse. Il aurait pu en parler à son employeur qui aurait alors eu à prendre certaines décisions à cet effet, avec ce que cela comporte de risques pour la suite de sa carrière puisqu’on ne sait jamais comment vont réagir les responsables de la Société d’État dans de tels cas. Encore là, aucune règle ferme n’existe à ce sujet. Le tout est question de prudence, de jugement personnel, sinon de calcul avec les risques de confusion et d’erreurs que cela comporte.
Le fait de ne pas avoir suivi ce scénario idéal n’est pas pour autant une faute professionnelle.
Toutefois, puisque la première offre lui serait parvenue par l’intermédiaire de Jacques Parizeau, le journaliste aurait dû prendre le même chemin pour signifier son refus plutôt que de s’adresser personnellement au chef du Parti québécois. En effet, à titre de chef du bureau politique à Québec, le journaliste Drainville n’avait pas à s’adresser personnellement au chef de l’opposition pour décliner une offre partisane. L’ayant cependant fait, il aurait dû laisser un de ses collègues mener l’entrevue du lendemain avec M. Boisclair. Cela aurait considérablement atténué les apparences de conflit d’intérêts.
Par ailleurs, si on a une conception orthodoxe et hyper exigeante de la déontologie, on peut être tenté de dire que le journaliste Drainville aurait dû cesser toute activité journalistique aussitôt qu’il a été approché par une formation politique. Cet arrêt pouvant durer une période indéterminée, allant de quelques semaines jusqu’à six mois a même suggéré un journaliste lors de la conférence de presse de Drainville, jeudi.
Un tel scénario serait dangereux car les stratèges politiques pourraient y recourir afin de se débarrasser de journalistes qu’ils jugent trop critiques en leur faisant de fausses propositions qui auraient pour conséquence automatique « d’éliminer » un journaliste intègre. Il faut aussi tenir compte du contexte politique québécois où la date des élections est choisie par le Premier ministre en poste, ce qui réduit de beaucoup les possibilités de prévoir à long terme la transition du journalisme à la politique.
En éthique appliquée, un test important est celui du test de la publicité. Il aide à identifier des situations potentiellement compromettantes. Concrètement, ce test consiste à se demander si on sera capable de défendre publiquement nos décisions, nos gestes, nos paroles. Si on en arrive à la conclusion que la décision que l’on s’apprête à faire ne sera pas défendable sur la place publique, et qu’elle doit donc demeurer secrète, cela incite à la modifier.
Du reste, tous les membres de la Tribune de la presse peuvent-ils affirmer n’avoir jamais reçu des offres plus ou moins formelles pour se joindre à un parti politique comme candidat ou à titre de conseiller ? Ce que certains semblent exiger du journaliste Drainville, sont-ils en mesure de se l’appliquer à eux-mêmes, comme le voudrait le principe éthique de la règle d’or qui se base sur la réciprocité ? Se sont-ils retirés temporairement de la couverture politique pendant et après leur période de réflexion ? Cette même question se pose dans d’autres secteurs d’information que sont l’économie, les sports, le spectacle, etc.
Il faut rappeler que les journalistes politiques sont toujours en étroite relation avec leurs sources politiques. Certains jouent au hockey ensemble, d’autres socialisent les soirs et fins de semaine, quelques-uns ont même des aventures sentimentales avec des élus ou avec des membres de leur personnel politique, d’autres jouent au conseiller politique ou acceptent des confidences personnelles. Tout cela se fait à l’abri du regard du public et en dépit des nombreuses critiques qui ont maintes fois dénoncé cette proximité.
La réaction de bon nombre de journalistes face au journaliste Drainville est à la fois rassurante et paradoxale. Elle rassure car on peut y déceler un souci réel du respect des principes éthiques et des règles déontologiques qui fondent la légitimité sociale et la crédibilité du journalisme.
Paradoxale, car on peut la mettre en comparaison avec la couverture généralement complaisante des même médias face à la nomination de la journaliste Michaëlle Jean, dans les premiers jours de août 2005. Dans les jours qui ont précédé l’annonce de sa nomination, alors qu’elle réfléchissait vraisemblablement à l’offre du Premier ministre Paul Martin et qu’elle l’avait peut-être même déjà acceptée, elle était encore lectrice du Téléjournal de Radio-Canada.
Les mêmes principes d’intégrité professionnelle sont en jeu, même si le cas Drainville est plus flagrant en raison de son travail de journaliste de terrain, qui côtoyait quotidiennement les élus et devait nous informer de façon intègre à leur sujet, alors que Mme Jean faisait ce que certains sociologues nomment du journalisme « assis ». Ceci étant dit, les deux cas ont des similarités, si bien qu’on a l’impression d’assister à une indignation sélective de la part de certains.
Quant à la réaction des adversaires politiques, on peut certes y voir l’œuvre d’une grande surprise et d’un sentiment de trahison ou de déloyauté de la part du journaliste Drainville. Mais il faut aussi être réaliste et y voir une stratégie de communication politique normale qui consiste à attaquer le nouvel adversaire.
Finalement, analyser le cas Drainville est un peu risqué car, comme dans toutes les analyses de cas, les faits sont déterminants. Et, pour l’instant, la seule source qui puisse nous informer au sujet des faits demeure le principal intéressé.
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d'Ottawa
La mutation subite et inattendue de Bernard Drainville, qui se métamorphose de chef du bureau politique de Radio-Canada, à l’Assemblée nationale du Québec, en candidat du Parti québécois, ramène une fois de plus sur la place publique la fameuse question des conflits d’intérêts et, surtout, de l’apparence de conflit d’intérêts.
Ce cas n’est pas le premier. L’histoire politique du Canada et du Québec est jalonnée de journalistes devenus politiciens, et on voit de plus en plus de politiciens devenir journalistes. Ces individus, hommes et femmes, exercent leur droit démocratique et constitutionnel.
Mais cela peut soulever des questions d’éthique professionnelle et le fait d’avoir de tels questionnements plaide pour une analyse sérieuse des faits et des principes en jeu, et non à des procès d’intention.
Les normes journalistiques sont claires. Les journalistes doivent éviter les situations de conflit d’intérêts et même les apparences de conflit d’intérêts car cela nuit à leur crédibilité et met en cause l’intégrité de l’information. Cette intégrité est un élément essentiel de la qualité de l’information, avec la rigueur, l’exactitude, l’équité, la vérité et l’intérêt public. Les conflits d’intérêts, ce sont avant tout des conflits de loyauté.
Le journaliste doit être loyal envers le public en lui diffusant une information de qualité, envers son employeur en respectant le contrat qui les lie, et envers lui-même en respectant sa conscience personnelle et sa dignité. Le conflit, comme l’apparence de conflit, intervient quand un journaliste décide de privilégier, ou semble privilégier un type de loyauté au détriment des autres. Dans le cas présent, il y a apparence que le journaliste aurait pu privilégier ses intérêts personnels et ceux de son futur chef politique au détriment du droit du public à une information de qualité.
Une telle apparence invite à l’analyse de la situation, mais l’analyse sérieuse et équitable ne peut se limiter à cette apparence, elle doit aller au-delà et tenir compte des faits allégués.
Si l’on en croit, le principal intéressé, il a reçu une offre, a aussitôt décidé de se retirer des ondes le temps de sa réflexion, a rejeté l’offre en l’annonçant personnellement au chef André Boisclair et a repris pleinement son statut de journaliste dès le samedi. À ce moment, il ne savait pas que, quelques jours plus tard, soit le mardi, il allait recevoir une autre offre qu’il accepterait. Au moment de son entrevue avec le chef du Parti québécois, André Boisclair, entrevue enregistrée le samedi et diffusée le dimanche, il n’était plus en réflexion et ne savait pas qu’on allait lui revenir avec une nouvelle offre. Dans son esprit, il était redevenu un journaliste pour les semaines et les mois à venir.
Aucun principe éthique, aucune règle déontologie ne prescrivait au journaliste Drainville de se retirer des ondes à la suite de son refus, pour quelque période que ce soit.
Il aurait cependant pu le faire, par simple prudence, en sachant que l’offre rejetée pouvait devenir publique par le biais des fuites calculées, des sources anonymes mal intentionnées et d’une concurrence médiatique parfois douteuse. Il aurait pu en parler à son employeur qui aurait alors eu à prendre certaines décisions à cet effet, avec ce que cela comporte de risques pour la suite de sa carrière puisqu’on ne sait jamais comment vont réagir les responsables de la Société d’État dans de tels cas. Encore là, aucune règle ferme n’existe à ce sujet. Le tout est question de prudence, de jugement personnel, sinon de calcul avec les risques de confusion et d’erreurs que cela comporte.
Le fait de ne pas avoir suivi ce scénario idéal n’est pas pour autant une faute professionnelle.
Toutefois, puisque la première offre lui serait parvenue par l’intermédiaire de Jacques Parizeau, le journaliste aurait dû prendre le même chemin pour signifier son refus plutôt que de s’adresser personnellement au chef du Parti québécois. En effet, à titre de chef du bureau politique à Québec, le journaliste Drainville n’avait pas à s’adresser personnellement au chef de l’opposition pour décliner une offre partisane. L’ayant cependant fait, il aurait dû laisser un de ses collègues mener l’entrevue du lendemain avec M. Boisclair. Cela aurait considérablement atténué les apparences de conflit d’intérêts.
Par ailleurs, si on a une conception orthodoxe et hyper exigeante de la déontologie, on peut être tenté de dire que le journaliste Drainville aurait dû cesser toute activité journalistique aussitôt qu’il a été approché par une formation politique. Cet arrêt pouvant durer une période indéterminée, allant de quelques semaines jusqu’à six mois a même suggéré un journaliste lors de la conférence de presse de Drainville, jeudi.
Un tel scénario serait dangereux car les stratèges politiques pourraient y recourir afin de se débarrasser de journalistes qu’ils jugent trop critiques en leur faisant de fausses propositions qui auraient pour conséquence automatique « d’éliminer » un journaliste intègre. Il faut aussi tenir compte du contexte politique québécois où la date des élections est choisie par le Premier ministre en poste, ce qui réduit de beaucoup les possibilités de prévoir à long terme la transition du journalisme à la politique.
En éthique appliquée, un test important est celui du test de la publicité. Il aide à identifier des situations potentiellement compromettantes. Concrètement, ce test consiste à se demander si on sera capable de défendre publiquement nos décisions, nos gestes, nos paroles. Si on en arrive à la conclusion que la décision que l’on s’apprête à faire ne sera pas défendable sur la place publique, et qu’elle doit donc demeurer secrète, cela incite à la modifier.
Du reste, tous les membres de la Tribune de la presse peuvent-ils affirmer n’avoir jamais reçu des offres plus ou moins formelles pour se joindre à un parti politique comme candidat ou à titre de conseiller ? Ce que certains semblent exiger du journaliste Drainville, sont-ils en mesure de se l’appliquer à eux-mêmes, comme le voudrait le principe éthique de la règle d’or qui se base sur la réciprocité ? Se sont-ils retirés temporairement de la couverture politique pendant et après leur période de réflexion ? Cette même question se pose dans d’autres secteurs d’information que sont l’économie, les sports, le spectacle, etc.
Il faut rappeler que les journalistes politiques sont toujours en étroite relation avec leurs sources politiques. Certains jouent au hockey ensemble, d’autres socialisent les soirs et fins de semaine, quelques-uns ont même des aventures sentimentales avec des élus ou avec des membres de leur personnel politique, d’autres jouent au conseiller politique ou acceptent des confidences personnelles. Tout cela se fait à l’abri du regard du public et en dépit des nombreuses critiques qui ont maintes fois dénoncé cette proximité.
La réaction de bon nombre de journalistes face au journaliste Drainville est à la fois rassurante et paradoxale. Elle rassure car on peut y déceler un souci réel du respect des principes éthiques et des règles déontologiques qui fondent la légitimité sociale et la crédibilité du journalisme.
Paradoxale, car on peut la mettre en comparaison avec la couverture généralement complaisante des même médias face à la nomination de la journaliste Michaëlle Jean, dans les premiers jours de août 2005. Dans les jours qui ont précédé l’annonce de sa nomination, alors qu’elle réfléchissait vraisemblablement à l’offre du Premier ministre Paul Martin et qu’elle l’avait peut-être même déjà acceptée, elle était encore lectrice du Téléjournal de Radio-Canada.
Les mêmes principes d’intégrité professionnelle sont en jeu, même si le cas Drainville est plus flagrant en raison de son travail de journaliste de terrain, qui côtoyait quotidiennement les élus et devait nous informer de façon intègre à leur sujet, alors que Mme Jean faisait ce que certains sociologues nomment du journalisme « assis ». Ceci étant dit, les deux cas ont des similarités, si bien qu’on a l’impression d’assister à une indignation sélective de la part de certains.
Quant à la réaction des adversaires politiques, on peut certes y voir l’œuvre d’une grande surprise et d’un sentiment de trahison ou de déloyauté de la part du journaliste Drainville. Mais il faut aussi être réaliste et y voir une stratégie de communication politique normale qui consiste à attaquer le nouvel adversaire.
Finalement, analyser le cas Drainville est un peu risqué car, comme dans toutes les analyses de cas, les faits sont déterminants. Et, pour l’instant, la seule source qui puisse nous informer au sujet des faits demeure le principal intéressé.
dimanche, février 04, 2007
La fonction et le rôle d’Ombudsman au Brésil et en France
Différents médiateurs existent dans le secteur des médias que ce soit en presse, en radiotélévision ou pour l’Internet. L'idée commune veut que ces médiateurs soient tous plus ou moins héritiers de traditions nord-américaines et scandinaves de l’Ombudsman. L’Hebdo du Médiateur sur France Télévisions depuis 1998 en France et la médiation de la presse au Folha de S. Paulo, depuis 1989 en Brésil en sont deux exemples distincts.
En France, la médiation de la rédaction de France 2 s'exerce à travers une émission, tous les samedis après le journal télévisé de la mi-journée. Ce programme autoréflexif donne la parole aux téléspectateurs venant exposer leurs griefs vis-à-vis de l'information de la chaîne et publicise ainsi une réflexion sur la responsabilité des journalistes et/ou du message télévisuel. Il s’agit donc de créer un espace de dialogue entre journalistes et téléspectateurs. Au Brésil, au Folha de S. Paulo, la fonction d’ombudsman prend la forme d’une représentation du lecteur au sein de la rédaction, par le biais d’une chronique hebdomadaire, publiée dans l’édition du dimanche. L’ombudsman est proposé comme une épreuve publique du projet éditorial implanté par le journal, un différenciateur de la concurrence et un critique des médias. Cet article propose, à travers la comparaison des cas français et brésilien, d’analyser deux conceptions de la médiation dans deux médias différents.
En effet, si ces créations se sont inspirées de l'exemple suédois et nord-américain, nous proposons ici un éclairage mettant en avant les conditions spécifiques d’émergence de ces deux médiateurs ; conditions particulières qui ont abouti à donner un rôle particulier et un statut différent aux deux médiateurs. Il s’agit donc à travers une dimension comparative internationale de démontrer la pluralité des Ombudsmen et la prégnance des contextes locaux et des cultures sur cette fonction que l’on a trop tendance à penser comme universelle.
(cliquer sur le titre de l'article pour en lire davantage)
En France, la médiation de la rédaction de France 2 s'exerce à travers une émission, tous les samedis après le journal télévisé de la mi-journée. Ce programme autoréflexif donne la parole aux téléspectateurs venant exposer leurs griefs vis-à-vis de l'information de la chaîne et publicise ainsi une réflexion sur la responsabilité des journalistes et/ou du message télévisuel. Il s’agit donc de créer un espace de dialogue entre journalistes et téléspectateurs. Au Brésil, au Folha de S. Paulo, la fonction d’ombudsman prend la forme d’une représentation du lecteur au sein de la rédaction, par le biais d’une chronique hebdomadaire, publiée dans l’édition du dimanche. L’ombudsman est proposé comme une épreuve publique du projet éditorial implanté par le journal, un différenciateur de la concurrence et un critique des médias. Cet article propose, à travers la comparaison des cas français et brésilien, d’analyser deux conceptions de la médiation dans deux médias différents.
En effet, si ces créations se sont inspirées de l'exemple suédois et nord-américain, nous proposons ici un éclairage mettant en avant les conditions spécifiques d’émergence de ces deux médiateurs ; conditions particulières qui ont abouti à donner un rôle particulier et un statut différent aux deux médiateurs. Il s’agit donc à travers une dimension comparative internationale de démontrer la pluralité des Ombudsmen et la prégnance des contextes locaux et des cultures sur cette fonction que l’on a trop tendance à penser comme universelle.
(cliquer sur le titre de l'article pour en lire davantage)
mardi, janvier 23, 2007
Les nouveaux mercenaires de l'information
Les nouveaux mercenaires de l’information
Marc-François Bernier (Ph. D.)
Professeur agrégé
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d'Ottawa
Texte publié dans Le Devoir, lundi 22 janvier 2007.
Une des leçons qu’il faut retenir du débat confus entre accommodements raisonnables et racisme qu’a volontairement allumé l’empire Quebecor et son sondeur de prédilection Léger Marketing, c’est que les journalistes et commentateurs patentés de Quebecor se comportent de plus en plus comme des mercenaires incapables de critiquer leurs égarements.
Il faut avoir lu l’ensemble des textes consacrés aux différentes questions de ce sondage pour constater qu’en aucun temps les nombreux journalistes affiliés à Quebecor n’ont songé à remettre réellement en question la définition même du mot « racisme » que le sondeur a librement utilisé.
Il y avait pourtant beaucoup à dire tant sur les définitions retenues (on confond racisme et inconfort face aux autres cultures notamment) que sur la répartition des réponses et la tournure générale des questions. Ces imperfections ont miné la validité de l’exercice au point où toute interprétation devenait dénuée de fondement.
Réaliser un sondage scientifique en suivant toutes les règles de l’art n’aurait pas coûté plus cher à l’empire Quebecor. Il aurait cependant créé moins de remous et réduit considérablement les retombées commerciales et médiatiques de l’exercice car les résultats, probablement plus nuancés, auraient été moins facilement exploitables à l’écran et sur papier.
Devant le silence des nouveaux mercenaires de l’information et de l’opinion tout dévoués à la cause de leur employeur, les critiques sont venues de l’extérieur. On a même vu des textes dans Le Journal de Montréal pour attaquer ces critiques. En somme, hors de Quebecor point de salut ! Pour paraphraser un thème déjà débattu par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, les médias sont-ils les nouvelles Églises et leurs journalistes les nouveaux curés ?
Ce dernier épisode s’ajoute à bien d’autres, dont celui des fameuses analyses de l’eau des piscines publiques de l’été 2006. Déjà, les journalistes de Quebecor avaient réprimé tout esprit critique afin de ne pas nuire à l’impact médiatique et commercial de ces stratégies de marketing où on invente le scoop, à défaut de le découvrir au terme d’une enquête au-dessus de tout soupçon.
Pour l’observateur des médias, ce comportement de groupe est troublant. Il faut en effet s’inquiéter quand ceux qui ont choisi de faire un métier reposant avant tout sur la liberté d’expression, et qui nous psalmodient l’évangile de la diversité de l’information, acceptent de suivre aveuglément les mots d’ordre de leur employeur. Comment est-il possible que des dizaines de gens reconnus pour leur franc-parler et se disant jaloux de leur liberté de critiquer puissent ainsi chanter à l’unisson la même partition sans interroger ceux qui manient la baguette ?
Il faut par ailleurs reconnaître que les motivations des concurrents doivent aussi être questionnées quand ils critiquent les initiatives de Quebecor. D’une certaine façon, cela rend la situation encore plus inquiétante. Sommes-nous en voie de nous retrouver dans un système médiatique où chacun embrigade ses journalistes et collaborateurs afin d’attaquer et affaiblir le concurrent, imposant du même coup un esprit de clan typique des groupes idéologiques ?
Une telle possibilité est à la fois incompatible avec la liberté d’expression des individus et menace gravement l’intégrité professionnelle des journalistes. Comment prendre au sérieux leurs revendications en matière de liberté de presse et de droit du public à l’information quand eux-mêmes sont en quelque sorte complices d’une forme de censure ou se complaisent dans des conflits d’intérêts systémiques ?
Pour ceux qui se sont inquiétés des possibles excès de la concentration et de la convergence des médias d’information, de tels épisodes n’ont rien de rassurant car ils démontrent le pouvoir réel que les conglomérats médiatiques ont d’influencer les débats publics en fonction de leurs intérêts corporatistes. On peut penser que l’intérêt médiatique s’impose face au déclin du principe qui consiste à œuvrer pour l’intérêt public.
Il faut craindre que la situation ne favorise une escalade de conflits entre mercenaires des grands groupes de presse du Québec où chaque journaliste et commentateur aurait l’obligation de suivre la « ligne du parti ».
De plus en plus, nous avons besoin de lieux de recherche et de débat où l’on puisse analyser de façon critique, rigoureuse et indépendante les pratiques médiatiques qui influencent grandement la qualité de notre vie démocratique. Il semble que les entreprises de presse soient peu enclines à assumer cette tâche.
Marc-François Bernier (Ph. D.)
Professeur agrégé
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d'Ottawa
Texte publié dans Le Devoir, lundi 22 janvier 2007.
Une des leçons qu’il faut retenir du débat confus entre accommodements raisonnables et racisme qu’a volontairement allumé l’empire Quebecor et son sondeur de prédilection Léger Marketing, c’est que les journalistes et commentateurs patentés de Quebecor se comportent de plus en plus comme des mercenaires incapables de critiquer leurs égarements.
Il faut avoir lu l’ensemble des textes consacrés aux différentes questions de ce sondage pour constater qu’en aucun temps les nombreux journalistes affiliés à Quebecor n’ont songé à remettre réellement en question la définition même du mot « racisme » que le sondeur a librement utilisé.
Il y avait pourtant beaucoup à dire tant sur les définitions retenues (on confond racisme et inconfort face aux autres cultures notamment) que sur la répartition des réponses et la tournure générale des questions. Ces imperfections ont miné la validité de l’exercice au point où toute interprétation devenait dénuée de fondement.
Réaliser un sondage scientifique en suivant toutes les règles de l’art n’aurait pas coûté plus cher à l’empire Quebecor. Il aurait cependant créé moins de remous et réduit considérablement les retombées commerciales et médiatiques de l’exercice car les résultats, probablement plus nuancés, auraient été moins facilement exploitables à l’écran et sur papier.
Devant le silence des nouveaux mercenaires de l’information et de l’opinion tout dévoués à la cause de leur employeur, les critiques sont venues de l’extérieur. On a même vu des textes dans Le Journal de Montréal pour attaquer ces critiques. En somme, hors de Quebecor point de salut ! Pour paraphraser un thème déjà débattu par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, les médias sont-ils les nouvelles Églises et leurs journalistes les nouveaux curés ?
Ce dernier épisode s’ajoute à bien d’autres, dont celui des fameuses analyses de l’eau des piscines publiques de l’été 2006. Déjà, les journalistes de Quebecor avaient réprimé tout esprit critique afin de ne pas nuire à l’impact médiatique et commercial de ces stratégies de marketing où on invente le scoop, à défaut de le découvrir au terme d’une enquête au-dessus de tout soupçon.
Pour l’observateur des médias, ce comportement de groupe est troublant. Il faut en effet s’inquiéter quand ceux qui ont choisi de faire un métier reposant avant tout sur la liberté d’expression, et qui nous psalmodient l’évangile de la diversité de l’information, acceptent de suivre aveuglément les mots d’ordre de leur employeur. Comment est-il possible que des dizaines de gens reconnus pour leur franc-parler et se disant jaloux de leur liberté de critiquer puissent ainsi chanter à l’unisson la même partition sans interroger ceux qui manient la baguette ?
Il faut par ailleurs reconnaître que les motivations des concurrents doivent aussi être questionnées quand ils critiquent les initiatives de Quebecor. D’une certaine façon, cela rend la situation encore plus inquiétante. Sommes-nous en voie de nous retrouver dans un système médiatique où chacun embrigade ses journalistes et collaborateurs afin d’attaquer et affaiblir le concurrent, imposant du même coup un esprit de clan typique des groupes idéologiques ?
Une telle possibilité est à la fois incompatible avec la liberté d’expression des individus et menace gravement l’intégrité professionnelle des journalistes. Comment prendre au sérieux leurs revendications en matière de liberté de presse et de droit du public à l’information quand eux-mêmes sont en quelque sorte complices d’une forme de censure ou se complaisent dans des conflits d’intérêts systémiques ?
Pour ceux qui se sont inquiétés des possibles excès de la concentration et de la convergence des médias d’information, de tels épisodes n’ont rien de rassurant car ils démontrent le pouvoir réel que les conglomérats médiatiques ont d’influencer les débats publics en fonction de leurs intérêts corporatistes. On peut penser que l’intérêt médiatique s’impose face au déclin du principe qui consiste à œuvrer pour l’intérêt public.
Il faut craindre que la situation ne favorise une escalade de conflits entre mercenaires des grands groupes de presse du Québec où chaque journaliste et commentateur aurait l’obligation de suivre la « ligne du parti ».
De plus en plus, nous avons besoin de lieux de recherche et de débat où l’on puisse analyser de façon critique, rigoureuse et indépendante les pratiques médiatiques qui influencent grandement la qualité de notre vie démocratique. Il semble que les entreprises de presse soient peu enclines à assumer cette tâche.