mardi, août 25, 2020

Transformer radicalement CBC ou l’abolir : une recension critique

 

Marc-François Bernier (Ph. D.)

Professeur titulaire

Département de communication

Université d’Ottawa

 

 

Dans leur récent ouvrage The End of the CBC, les professeurs David Taras (Université de Calgary) et Christopher Waddell (Université Carleton) estiment que la CBC doit devenir un média voué uniquement aux nouvelles, à l’information et aux affaires publiques. Sinon, il faut envisager son abolition, car ce diffuseur public généraliste déjà très peu fréquenté au Canada anglais sera incapable de concurrencer les Netflix, Disney, Amazon Prime et Apple de ce monde en matière de variétés et de fictions.

 

Ces derniers peuvent consacrer des centaines de millions de dollars pour produire des contenus de fiction, et ainsi s’imposer sur le marché « hypermédiatisé » et mondialisé de l’attention (offre importante mais impossibilité pour les individus sur-sollicités de tout consommer). CBC n’a pas et n’aura jamais les mêmes moyens financiers pour offrir des contenus aussi attrayants. De plus, le marché est tellement fragmenté qu’il devient impossible de rentabiliser les investissements de fictions sur le seul marché canadien.

 

Contrairement à certains ouvrages consacrés à régler des comptes avec le diffuseur public, Taras et Waddell se livrent à un bilan équilibré, argumenté et documenté dans un contexte dit de « post-diffusion », où il faut cesser de croire que CBC peut demeurer un média généraliste en concurrence avec des média commerciaux mondialisés aux capacités financières gigantesques.

 

Notons que leur diagnostic ne s’applique pas à Radio-Canada, pour l’instant. Mais ils estiment que ce n’est qu’une question de temps avant que le réseau francophone ne soit à son tour confronté à un même questionnement existentiel, malgré la composante linguistique qui a longtemps constitué une frontière à l’envahissement culturel et médiatique des États-Unis. 

 

Dans cet essai critique qui pourra déplaire aux inconditionnels et employés de la CBC, les auteurs ne cachent pas leur nostalgie d’un certain âge d’or du diffuseur public et de sa contribution à titre de « one of the great nation-building enterprises in Canadian history » (p. 24). Ils déplorent que la CBC soit devenue l’ombre d’elle-même avec des cotes d’écoutes en diminution constante au fil des décennies, au point d’être presque inexistantes à certains moments de la journée. Et cela est encore plus vrai pour les jeunes générations, ce qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir à moyen terme si rien ne change.

 

Dans le même esprit, Taras et Waddell affichent sans retenue leur nationalisme canadien, notamment quand ils souhaitent faire de la CBC un ardent promoteur de la conscience et de l’identité canadienne, ce qui passe par la promotion du multiculturalisme. Ce souhait se manifeste surtout en réaction à l’influence considérable de la culture américaine chez les anglophones du Canada, mais aussi parce que les immigrants demeurent de plus en plus en contact avec leur pays d’origine grâce à Internet.

 

Un diffuseur omniprésent en information et affaires publiques

 

Taras et Waddell plaident pour que CBC devienne essentiellement un service public d’information et d’affaires publiques, concédant à d’autres médias le mandat de produire et diffuser des séries télévisées, des variétés et d’assurer la couverture de sports professionnels.

 

Ils estiment par ailleurs que les journaux locaux et régionaux, et même des médias électroniques de grandes villes, confrontés à la crise de leur modèle d’affaires, sont voués à être remplacés par des stations locales et régionale de CBC, ce qui soulève un problème de diversité des sources d’information qu’ils négligent. Ils évoquent toutefois la question d’une concurrence déloyale de CBC au détriment de médias privés, dont certains ont des abonnés payants, car ces derniers auront de plus en plus accès à des informations et opinions subventionnées par l’État. Ce mandat d’information et d’affaires publiques nécessiterait aussi la multiplication de correspondants à l’étranger pour parler de l’actualité internationale avec une perspective canadienne.

 

Soulignant que le seul succès notable de CBC est sa programmation radiophonique, qui a réussi à accroître son auditoire, ils souhaitent - comme d’autres l’ont déjà suggéré par le passé - l’abandon des revenus publicitaires pour les autres plateformes. Ceux-ci devraient être compensés par un financement public adéquat et à long terme. La transformation radicale qu’ils appellent de tous leurs vœux permettra également de détourner à de nouvelles finalités les budgets actuels consacrés aux variétés et aux fictions. 

 

Taras et Waddell préconisent donc une transformation radicale de CBC. De diffuseur public généraliste en concurrence avec des médias privés, elle doit devenir une organisation uniquement vouée à la production de contenus de grande qualité d’informations et d’affaires publiques, avec des analyses, des contenus fiables et équitables, prennent-ils la peine de préciser. Cela se ferait par le journalisme d’enquête et des reportages qui visent à responsabiliser les décideurs et les institutions afin d’accomplir le travail essentiel à la démocratie. Bref, CBC deviendrait la référence par excellence quand les Canadiens veulent s’informer.

 

L’ouvrage identifie cinq thématiques que CBC devrait prioriser: la vie urbaine (transport, environnement, logement, immigration et diversité, etc.), les affaires et l’économie (emplois, technologies, main-d’œuvre, etc.), les politiques publiques du fédéral, des provinces et des municipalités (parler moins des élus et davantage des impacts de leurs décisions, explorer les solutions aux problèmes avant l’irruption de crises, comparer avec ce qui se passe dans d’autres régions ou pays, etc.), la science et la santé (tenir compte des patients, de la qualité des services de santé et de diverses formes de recherches et de découvertes scientifiques, etc.) et, finalement, dans la même logique du nationalisme omniprésent tout au long de leur essai, s’intéresser aux Canadiens dont le rôle est important (raconter leurs histoires, leurs ambitions, leurs succès et échecs, au pays comme à l’étranger, etc.).

 

Les deux universitaires insistent pour que CBC couvre tout, et partout au Canada : les hôtels de ville, les conseils scolaires, les institutions de santé, les événements culturels, etc. Ce qui soulève la sérieuse question de la diversité des sources d’information si le diffuseur public, financé entièrement par l’État fédéral, cherche à se substituer à des médias locaux, dont il menace en partie la survie en leur faisant concurrence. 


Conscients de l’historique des interférences politiques dans la mission d’information de CBC/Radio-Canada, ils insistent à leur tour pour que cessent les nominations politiques et partisanes au sein du conseil d’administration de CBC/Radio-Canada, et encore plus pour ce qui est de la nomination de son ou sa PDG, une prérogative qui relève encore du Premier ministre du Canada!


 

TARAS, David et Christopher WADDELL (2020), The End of the CBC?, Toronto, University of Toronto Press, 223 pages.

 

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