mardi, juillet 06, 2004

La méfiance des Québécois envers la concentration de la propriété des médias, les journalistes et l’intervention gouvernementale

(Communication dans le cadre du XVIIe congrès de l'Association internationale des sociologues de langue française, Tours, juillet 2004)

1. INTRODUCTION
Depuis maintenant plusieurs années, le monde des médias d’information a été passablement transformé par le phénomène de la concentration de la propriété des médias, la convergence des médias traditionnels et nouveaux et la commercialisation de l’information afin de satisfaire les actionnaires, ce que je nomme le CCC. Face à ces transformations, plusieurs voix se sont fait entendre pour dénoncer les risques que cela pourrait poser en ce qui concerne la liberté de la presse et la diversité de l’information. En Amérique du Nord ce débat a été observé aux Etats-Unis, au Canada et au Québec.

Aux Etats-Unis, par exemple, face à une opinion publique manifestant son inquiétude, la Commission fédérale des communications a été freinée par le Congrès dans son intention de libéraliser davantage la réglementation limitant la possibilité pour un même propriétaire de détenir plusieurs médias d’information dans un même marché (propriété croisée de journaux, station de télévision ou stations de radio par exemple). (PBS, 2003).

Au Canada, le taux de concentration de la presse et la convergence des médias inquiètent les députés de la Chambre des communes aussi bien que les membres du Sénat qui ont créé des comités pour se pencher sur la question. Le Comité permanent du patrimoine canadien a pour sa part publié un volumineux rapport en juin 2003 qui se penchait notamment sur ces questions (COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN, 2003). Au Québec, l’Assemblée nationale a créé un comité parlementaire devant lequel ont témoigné plusieurs dizaines de personnes qui, pour la plupart, s’inquiétaient de la situation et demandaient une intervention gouvernementale afin de limiter la concentration et la convergence des médias (COMMISSION DE LA CULTURE, 2001).

2. LA CRÉDIBILITÉ DES MÉDIAS ET DE LEURS JOURNALISTES

Ces débats sur la concentration et la convergence mettent régulièrement en cause la crédibilité des journalistes. Dans une récente recherche, des auteurs ont observé que le public américain semble convaincu que les journalistes ne sont pas là pour servir l’intérêt public mais bien pour servir les intérêts économiques des conglomérats de presse ainsi que leurs propres
ambitions professionnelles (PROJECT FOR EXCELLENCE IN JOURNALISM, 2004). Au Canada, diverses enquêtes révèlent aussi une méfiance certaine envers les médias. La plus récente enquête du Consortium canadien de recherche sur les médias indique que seulement 3 % des répondants croient que les préférences des journalistes ne biaisent pas leurs reportages. Plus de 80 % des Canadiens sont d’avis que les biais des journalistes influencent souvent ou parfois les nouvelles. Près d’un Canadien sur trois (31 %) croit que les reportages sont souvent inexacts. Si seulement 12 % croient que les propriétaires de médias influencent les nouvelles (42 % croient que la principale source d’influence provient de groupes d’intérêts politiques et 27 % de groupes d’intérêts économiques), 56 % des répondants disent que la concentration de la propriété des médias a un impact négatif sur leur confiance à leur endroit. Du côté du groupe de pression Friends of Canadian Broadcasting, on sonde de temps à autre le public canadien sur l’impact de la concentration de la presse. Selon un sondage réalisé en mai 2004, 62 % des répondants sont d’avis que la concentration des médias mine la santé de la démocratie canadienne (contre 68 % en 2002) et 60 % estiment qu’il y a trop de concentration des médias (62 % en 2002). Les répondants s’entendent pour dire que les médias canadiens doivent être concentrés pour être compétitifs (66 % contre 64 % en 2002). En même temps, ils sont 73 % (78 % en 2002) à se dire d’accord avec l’énoncé voulant que les propriétaires de médias canadiens sont allés trop loin dans leurs efforts pour faire valoir leur propre opinion politique (inject their own personal politic opinion) dans ce que leurs médias vont dire ou rapporter. En mai 2004, on a posé une nouvelle question, à savoir si le gouvernement fédéral devait limiter la concentration des médias, une proposition qui a reçu l’appui de 58 % des répondants canadiens mais de 66 % des répondants du Québec (FRIENDS OF CANADIAN BROADCASTING, 2004).

Par ailleurs, de janvier 2002 à février 2003, la confiance des Canadiens envers les journalistes aurait chuté de 7 % (de 53 % à 46 %) (PRESSE CANADIENNE , 2003). Lors d’une autre enquête pancanadienne, 37 % ont répondu qu’ils les considéraient peu libres ou pas libres du tout contre 57 % qui les estiment totalement ou plutôt libres. Aux Etats-Unis comme au Canada et au Québec, différentes enquêtes indiquent qu’il y a une suspicion généralisée à l’endroit des journalistes, que la concentration et la convergence des médias sont loin d’être bien acceptées par le public sans être toujours radicalement rejetées, et
que l’intervention gouvernementale est parfois souhaitée. Mais existe-t-il un lien entre ces trois positions ?

La présente contribution tente de répondre à cette question. En m’inspirant d’un modèle théorique de la légitimité sociale du journalisme,2 je vais tenter de vérifier l’hypothèse selon laquelle le public est favorable à une intervention gouvernementale lorsqu’il croit que les médias d’information se détournent de leur obligation de l’informer de façon désintéressée, en somme lorsque le public croit que les médias et leurs journalistes remplissent convenablement leur mandat de service public.

(...)

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