Ces derniers jours, des appels au boycott de QUB radio ont été lancés par Québec solidaire et soutenus par certains, en réaction aux récents propos équivoques du chroniqueur Gilles Proulx, comme l’a reconnu la journalistes Isabelle Hachey, tout en ajoutant avec raison qu’il n’en était pas à ses premières frasques. Il suffit de se rappeler ses incitations à la haine lors de la crise d’Oka, sans compter les blâmes du Conseil de presse du Québec à son sujet. Personne ne prendra ici la défense de Proulx qui transgresse les normes de l’éthique et de la déontologie du journalisme.
Ce qui m’intéresse c’est plutôt de questionner l’appel au boycott de tous les animateurs et journalistes de la radio web QUB, de Québecor. Ce qui mérite d’être discuté c’est la notion de punition collective que favorise Québec solidaire en réaction aux fautes d’un seule personne.
Je soumets qu’il y a cinq raisons importantes de s’inquiéter de cette décision qui repose davantage sur une réaction émotive - et peut-être une stratégie de communication politique - mais est plus que fragile sur le plan éthique.
Il faut tout de suite affirmer que l’éthique ne doit en aucune façon reposer sur des émotions, sur le ressentiment ou les intuitions morales. Si ces réactions peuvent susciter la réflexion éthique, elles ne doivent pas la déterminer. Contrairement à ce qui est souvent entendu ou lu, l’éthique n'est pas une question de bons sentiment et d’émotions. Elle favorise plutôt une approche fondée en raison, où s’imposent la hiérarchie de valeurs et la cohérence logique du raisonnement qui conduit à une prise de décision. Sans ces garanties minimales, on se retrouve avec des impressions et des réflexes difficiles à défendre en raison. Avec l’arbitraire aussi.
J’en reviens aux cinq raisons évoquées plus haut. La première est qu’on favorise une punition collective pour la faute d’un seul individu. Cela est contraire au principe d’équité selon lequel les sanctions et récompenses visant des individus doivent avoir un lien de causalité et de proportionnalité avec les comportements dont ils sont responsables. Cela amène la question suivante : pourquoi punir ceux et celles qui n’ont rien à se reprocher? Pourquoi soutenir qu’il y aurait une culpabilité par association, comme si tout le groupe de journalistes était contaminé?
La seconde raison découle de la première : si on accepte de punir collectivement pour la faute d’un seul, il y a un risque de créer un précédent selon lequel une personnalité publique pourrait à son tour boycotter tous les journalistes d’un média sous prétexte qu’une seul l’a maltraitée. Et que dire dans les cas où la diffamation d’un seul journaliste a été reconnue et sanctionnée par un tribunal? Un élu serait-il alors encore plus justifié de boycotter tous les journalistes de ce média?
La troisième raison a trait avec le respect du droit du public à l’information qui sera affecté par le refus de certains élus – pour se limiter au cas qui m'intéresse – d’accorder des entrevues sur de sujets d’intérêt public. À moins que l’on convienne que cela est finalement sans grande importance pour la qualité et la vitalité du débat démocratique. Ce serait un aveu surprenant de la part de journalistes.
La quatrième raison renvoie au devoir d’imputabilité des élus qui doivent répondre de leurs actes, de leurs décisions, de leurs déclarations et autres comportements. À moins, encore une fois, qu’on leur reconnaisse le privilège de choisir envers quels publics et quels journalistes ils ont des comptes à rendre.
La dernière raison que je soumets ici renvoie à la cohérence de la décision de boycotter QUB radio en raison de la présence de Gilles Proulx. Or, ce même chroniqueur sévit aussi dans les pages du Journal de Montréal, alors que le Journal de Québec relaie ses chroniques.
Si on admet que l’indignation de Québec solidaire est sincère et authentique et justifie une sanction collective en raison de la présence de Gilles Proulx, par conséquent la décision d’appliquer un boycott à QUB radio doit s’étendre à tous les médias du groupe Québecor où ce dernier sévit. Sinon, la décision est arbitraire.
N’oubliez pas, ils sont tous contaminés par association, un peu comme dans la fable de Jean de La Fontaine :
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point.
- C'est donc quelqu'un des tiens
En résumé, l’appel au boycott de QS ne résiste pas à une analyse éthique car il favorise une sanction collective contraire au principe d’équité, il établit un précédent dangereux eu égard au droit du public à l’information et aux impacts que cela peut avoir pour d’autres médias, il nuit à l’imputabilité des élus et est arbitraire dans son application sélective.
Il y avait bien d’autres façon pour Québec solidaire de réagir aux attaques abusives de Gilles Proulx que de décréter ce boycott de QUB radio, une sanction collective qui punit des journalistes n’ayant rien à se reprocher. Je m’étonne à ce sujet du silence de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Ceci étant dit, si j'étais un patron de presse, Gilles Proulx ne serait plus à mon service depuis longtemps, mais cela est un autre débat...