dimanche, février 25, 2007

Petit guide médiatique pour électeur sérieux

Par Marc-François Bernier
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d’Ottawa
mbernier@uottawa.ca

Publié dans Le Droit, le 2 mars 2007

Une campagne électorale, c’est l’emballement des machines politiques et médiatiques qui carburent à la stratégie afin de tirer profit de certaines faiblesses des électeurs que nous sommes, qui préférons souvent être séduits et divertis plutôt que rigoureusement et sérieusement informés des enjeux dont dépendent notre avenir.

Pour ceux qui prennent encore au sérieux l’exercice électoral et qui croient que les journalistes ont un rôle important d’information des citoyens, la présente campagne électorale risque encore de s’avérer décevante. Toute campagne implique trois groupes d’acteurs : les candidats (et leur entourage), les journalistes et le public. Malheureusement, des recherches et plusieurs critiques soutiennent que les candidats et les journalistes sont tellement obsédés les uns par les autres qu’ils en oublient souvent le public. Il est donc justifié d’avoir les médias à l’œil, un exercice critique peu coutumier au Québec.

Pour débuter ce petit guide, voici comment les médias devraient agir afin de forcer les acteurs politiques à respecter le droit des électeurs à des débats intelligents, honnêtes et substantiels.

Leur premier défi sera de ne pas être les complices des attaques vicieuses et mesquines des uns et des autres. En refusant de jouer ce jeu, ils forceront les candidats à trouver de meilleures façons de faire parler d’eux.

Un autre défi sera de servir constamment le droit du public à une information de qualité, en forçant les candidats et leurs stratèges à démontrer la véracité de leurs affirmations et le réalisme de leurs engagements. Ce travail critique pourra se substituer à la diffusion des sarcasmes, de phrases assassines et des attaques personnelles des adversaires politiques qui partagent pourtant le même intérêt à ne pas justifier leurs propres affirmations et engagements.

Toujours dans l’esprit du service public, on devrait empêcher les acteurs politiques de nous intoxiquer impunément avec des déclarations faites sous le couvert de l’anonymat, les sources anonymes étant de puissants vecteurs de désinformation. À ne pas oublier que les organisations politiques essaient d’influencer, sinon de manipuler l’opinion publique par le biais des médias et que bien des journalistes résistent peu aux leurres des scoops vite démentis ou récupérés publiquement par les mêmes qui les ont discrètement glissés à l’oreille du reporter.

La rigueur intellectuelle devrait convaincre les journalistes de ne pas diffuser des résultats de sondages aux méthodologies douteuses, tandis que le souci des débats substantiels devrait limiter le nombre de sondages sur les intentions de vote. Ces sondages mettent certes du piquant dans la course et de l’action dans les reportages, mais ils sont faibles en octane démocratique. Il faut à ce chapitre saluer la décision de la Société Radio-Canada de ne pas commander de sondages sur les intentions de vote (il y en aura déjà beaucoup d’autres de toute façon), afin de se concentrer sur des débats de fond.

D’autre part, les médias devraient documenter des enjeux importants pour les citoyens en se fiant à des sources compétentes et neutres. Cela est encore plus pertinent pour les chaînes d’information continue, où on oblige trop souvent les journalistes à remplir du temps d’antenne avec des propos répétitifs, des approximations et des affirmations douteuses parce qu’on ne leur donne pas le temps de tout vérifier avant de passer en ondes.

En matière de diversité, il serait apprécié que les médias, surtout les médias électroniques, soient plus imaginatifs dans leur choix d’invités pour nous présenter des points de vue différents, marginaux, voire provocateurs. De même, on souhaite qu’ils nous épargnent l’omniprésence de pseudo experts en tout et en rien dont on nous cache trop souvent les accointances partisanes.

La liste pourrait s’allonger, mais la commande est déjà très ambitieuse. Certains, désabusés ou plus lucides peut-être, diront trop ambitieuse.

Indices de méfiance

Pour compléter ce modeste guide médiatique de l’électeur sérieux, voici quelques indices qui devraient nous inciter à se méfier car l’intérêt médiatique (celui des médias, celui des journalistes, etc.) peut facilement supplanter l’intérêt public.

Il y a lieu de se méfier quand un journaliste de la télévision ou de la radio est plus intéressé par ses jeux de mots que par la substance de ses reportages qui ne nous disent rien sur les engagements des candidats et leurs raisons de les proposer aux électeurs. Et quand un journaliste, surtout de la presse écrite, rapporte les propos de sources anonymes, sachons que, le plus souvent, il se laisse utiliser par ceux qui veulent manipuler l’opinion publique pour en tirer un meilleur profit partisan.

De même quand, au terme d’entrevue télévisée ou radiophonique, nous avons l’impression d’en savoir davantage sur l’opinion du journaliste que sur celle de son invité, il y a là un sérieux indice de l’intention non pas de nous informer, mais de nous persuader.

Par ailleurs, nous devons avoir le sage réflexe de n’accorder aucune crédibilité au journaliste qui passe quelques heures dans un comté, mais prétend néanmoins nous dire ce qu’est vraiment l’allure de la campagne locale. Le plus souvent, cela repose à la fois sur une méconnaissance des lieux et sur la force de persuasion de certains organisateurs politiques.

Bien entendu, nous avons tous nos biais partisans et nos préférences. Cela influence grandement le regard critique que nous posons sur le travail des journalistes et la couverture médiatique quotidienne. Cela nous incite parfois à nous exposer avec complaisance et à répétition aux messages qui nous plaisent et à rejeter trop facilement ceux qui nous choquent. S’informer ne doit pas être un comportement d’auto persuasion. Au contraire, c’est faire face aux faits qui ébranlent nos croyances et nous déstabilisent.

Il y a donc lieu, finalement, de se méfier même des convictions que nous possédons, car elles nous possèdent aussi au point de contaminer notre bon jugement, comme l’a écrit le sociologue français Edgar Morin.

vendredi, février 09, 2007

Le cas Drainville : Au-delà de l’apparence de conflit d’intérêts, un manque de prudence et de réflexion éthique

Marc-François Bernier (Ph.D.)
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d'Ottawa

La mutation subite et inattendue de Bernard Drainville, qui se métamorphose de chef du bureau politique de Radio-Canada, à l’Assemblée nationale du Québec, en candidat du Parti québécois, ramène une fois de plus sur la place publique la fameuse question des conflits d’intérêts et, surtout, de l’apparence de conflit d’intérêts.

Ce cas n’est pas le premier. L’histoire politique du Canada et du Québec est jalonnée de journalistes devenus politiciens, et on voit de plus en plus de politiciens devenir journalistes. Ces individus, hommes et femmes, exercent leur droit démocratique et constitutionnel.

Mais cela peut soulever des questions d’éthique professionnelle et le fait d’avoir de tels questionnements plaide pour une analyse sérieuse des faits et des principes en jeu, et non à des procès d’intention.

Les normes journalistiques sont claires. Les journalistes doivent éviter les situations de conflit d’intérêts et même les apparences de conflit d’intérêts car cela nuit à leur crédibilité et met en cause l’intégrité de l’information. Cette intégrité est un élément essentiel de la qualité de l’information, avec la rigueur, l’exactitude, l’équité, la vérité et l’intérêt public. Les conflits d’intérêts, ce sont avant tout des conflits de loyauté.

Le journaliste doit être loyal envers le public en lui diffusant une information de qualité, envers son employeur en respectant le contrat qui les lie, et envers lui-même en respectant sa conscience personnelle et sa dignité. Le conflit, comme l’apparence de conflit, intervient quand un journaliste décide de privilégier, ou semble privilégier un type de loyauté au détriment des autres. Dans le cas présent, il y a apparence que le journaliste aurait pu privilégier ses intérêts personnels et ceux de son futur chef politique au détriment du droit du public à une information de qualité.

Une telle apparence invite à l’analyse de la situation, mais l’analyse sérieuse et équitable ne peut se limiter à cette apparence, elle doit aller au-delà et tenir compte des faits allégués.

Si l’on en croit, le principal intéressé, il a reçu une offre, a aussitôt décidé de se retirer des ondes le temps de sa réflexion, a rejeté l’offre en l’annonçant personnellement au chef André Boisclair et a repris pleinement son statut de journaliste dès le samedi. À ce moment, il ne savait pas que, quelques jours plus tard, soit le mardi, il allait recevoir une autre offre qu’il accepterait. Au moment de son entrevue avec le chef du Parti québécois, André Boisclair, entrevue enregistrée le samedi et diffusée le dimanche, il n’était plus en réflexion et ne savait pas qu’on allait lui revenir avec une nouvelle offre. Dans son esprit, il était redevenu un journaliste pour les semaines et les mois à venir.

Aucun principe éthique, aucune règle déontologie ne prescrivait au journaliste Drainville de se retirer des ondes à la suite de son refus, pour quelque période que ce soit.

Il aurait cependant pu le faire, par simple prudence, en sachant que l’offre rejetée pouvait devenir publique par le biais des fuites calculées, des sources anonymes mal intentionnées et d’une concurrence médiatique parfois douteuse. Il aurait pu en parler à son employeur qui aurait alors eu à prendre certaines décisions à cet effet, avec ce que cela comporte de risques pour la suite de sa carrière puisqu’on ne sait jamais comment vont réagir les responsables de la Société d’État dans de tels cas. Encore là, aucune règle ferme n’existe à ce sujet. Le tout est question de prudence, de jugement personnel, sinon de calcul avec les risques de confusion et d’erreurs que cela comporte.

Le fait de ne pas avoir suivi ce scénario idéal n’est pas pour autant une faute professionnelle.

Toutefois, puisque la première offre lui serait parvenue par l’intermédiaire de Jacques Parizeau, le journaliste aurait dû prendre le même chemin pour signifier son refus plutôt que de s’adresser personnellement au chef du Parti québécois. En effet, à titre de chef du bureau politique à Québec, le journaliste Drainville n’avait pas à s’adresser personnellement au chef de l’opposition pour décliner une offre partisane. L’ayant cependant fait, il aurait dû laisser un de ses collègues mener l’entrevue du lendemain avec M. Boisclair. Cela aurait considérablement atténué les apparences de conflit d’intérêts.

Par ailleurs, si on a une conception orthodoxe et hyper exigeante de la déontologie, on peut être tenté de dire que le journaliste Drainville aurait dû cesser toute activité journalistique aussitôt qu’il a été approché par une formation politique. Cet arrêt pouvant durer une période indéterminée, allant de quelques semaines jusqu’à six mois a même suggéré un journaliste lors de la conférence de presse de Drainville, jeudi.

Un tel scénario serait dangereux car les stratèges politiques pourraient y recourir afin de se débarrasser de journalistes qu’ils jugent trop critiques en leur faisant de fausses propositions qui auraient pour conséquence automatique « d’éliminer » un journaliste intègre. Il faut aussi tenir compte du contexte politique québécois où la date des élections est choisie par le Premier ministre en poste, ce qui réduit de beaucoup les possibilités de prévoir à long terme la transition du journalisme à la politique.

En éthique appliquée, un test important est celui du test de la publicité. Il aide à identifier des situations potentiellement compromettantes. Concrètement, ce test consiste à se demander si on sera capable de défendre publiquement nos décisions, nos gestes, nos paroles. Si on en arrive à la conclusion que la décision que l’on s’apprête à faire ne sera pas défendable sur la place publique, et qu’elle doit donc demeurer secrète, cela incite à la modifier.

Du reste, tous les membres de la Tribune de la presse peuvent-ils affirmer n’avoir jamais reçu des offres plus ou moins formelles pour se joindre à un parti politique comme candidat ou à titre de conseiller ? Ce que certains semblent exiger du journaliste Drainville, sont-ils en mesure de se l’appliquer à eux-mêmes, comme le voudrait le principe éthique de la règle d’or qui se base sur la réciprocité ? Se sont-ils retirés temporairement de la couverture politique pendant et après leur période de réflexion ? Cette même question se pose dans d’autres secteurs d’information que sont l’économie, les sports, le spectacle, etc.

Il faut rappeler que les journalistes politiques sont toujours en étroite relation avec leurs sources politiques. Certains jouent au hockey ensemble, d’autres socialisent les soirs et fins de semaine, quelques-uns ont même des aventures sentimentales avec des élus ou avec des membres de leur personnel politique, d’autres jouent au conseiller politique ou acceptent des confidences personnelles. Tout cela se fait à l’abri du regard du public et en dépit des nombreuses critiques qui ont maintes fois dénoncé cette proximité.

La réaction de bon nombre de journalistes face au journaliste Drainville est à la fois rassurante et paradoxale. Elle rassure car on peut y déceler un souci réel du respect des principes éthiques et des règles déontologiques qui fondent la légitimité sociale et la crédibilité du journalisme.

Paradoxale, car on peut la mettre en comparaison avec la couverture généralement complaisante des même médias face à la nomination de la journaliste Michaëlle Jean, dans les premiers jours de août 2005. Dans les jours qui ont précédé l’annonce de sa nomination, alors qu’elle réfléchissait vraisemblablement à l’offre du Premier ministre Paul Martin et qu’elle l’avait peut-être même déjà acceptée, elle était encore lectrice du Téléjournal de Radio-Canada.

Les mêmes principes d’intégrité professionnelle sont en jeu, même si le cas Drainville est plus flagrant en raison de son travail de journaliste de terrain, qui côtoyait quotidiennement les élus et devait nous informer de façon intègre à leur sujet, alors que Mme Jean faisait ce que certains sociologues nomment du journalisme « assis ». Ceci étant dit, les deux cas ont des similarités, si bien qu’on a l’impression d’assister à une indignation sélective de la part de certains.

Quant à la réaction des adversaires politiques, on peut certes y voir l’œuvre d’une grande surprise et d’un sentiment de trahison ou de déloyauté de la part du journaliste Drainville. Mais il faut aussi être réaliste et y voir une stratégie de communication politique normale qui consiste à attaquer le nouvel adversaire.

Finalement, analyser le cas Drainville est un peu risqué car, comme dans toutes les analyses de cas, les faits sont déterminants. Et, pour l’instant, la seule source qui puisse nous informer au sujet des faits demeure le principal intéressé.

dimanche, février 04, 2007

La fonction et le rôle d’Ombudsman au Brésil et en France

Différents médiateurs existent dans le secteur des médias que ce soit en presse, en radiotélévision ou pour l’Internet. L'idée commune veut que ces médiateurs soient tous plus ou moins héritiers de traditions nord-américaines et scandinaves de l’Ombudsman. L’Hebdo du Médiateur sur France Télévisions depuis 1998 en France et la médiation de la presse au Folha de S. Paulo, depuis 1989 en Brésil en sont deux exemples distincts.
En France, la médiation de la rédaction de France 2 s'exerce à travers une émission, tous les samedis après le journal télévisé de la mi-journée. Ce programme autoréflexif donne la parole aux téléspectateurs venant exposer leurs griefs vis-à-vis de l'information de la chaîne et publicise ainsi une réflexion sur la responsabilité des journalistes et/ou du message télévisuel. Il s’agit donc de créer un espace de dialogue entre journalistes et téléspectateurs. Au Brésil, au Folha de S. Paulo, la fonction d’ombudsman prend la forme d’une représentation du lecteur au sein de la rédaction, par le biais d’une chronique hebdomadaire, publiée dans l’édition du dimanche. L’ombudsman est proposé comme une épreuve publique du projet éditorial implanté par le journal, un différenciateur de la concurrence et un critique des médias. Cet article propose, à travers la comparaison des cas français et brésilien, d’analyser deux conceptions de la médiation dans deux médias différents.
En effet, si ces créations se sont inspirées de l'exemple suédois et nord-américain, nous proposons ici un éclairage mettant en avant les conditions spécifiques d’émergence de ces deux médiateurs ; conditions particulières qui ont abouti à donner un rôle particulier et un statut différent aux deux médiateurs. Il s’agit donc à travers une dimension comparative internationale de démontrer la pluralité des Ombudsmen et la prégnance des contextes locaux et des cultures sur cette fonction que l’on a trop tendance à penser comme universelle.
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