Par Marc-François Bernier
Coordonnateur du programme de journalisme
Université d’Ottawa
mbernier@uottawa.ca
Publié dans Le Droit, le 2 mars 2007
Une campagne électorale, c’est l’emballement des machines politiques et médiatiques qui carburent à la stratégie afin de tirer profit de certaines faiblesses des électeurs que nous sommes, qui préférons souvent être séduits et divertis plutôt que rigoureusement et sérieusement informés des enjeux dont dépendent notre avenir.
Pour ceux qui prennent encore au sérieux l’exercice électoral et qui croient que les journalistes ont un rôle important d’information des citoyens, la présente campagne électorale risque encore de s’avérer décevante. Toute campagne implique trois groupes d’acteurs : les candidats (et leur entourage), les journalistes et le public. Malheureusement, des recherches et plusieurs critiques soutiennent que les candidats et les journalistes sont tellement obsédés les uns par les autres qu’ils en oublient souvent le public. Il est donc justifié d’avoir les médias à l’œil, un exercice critique peu coutumier au Québec.
Pour débuter ce petit guide, voici comment les médias devraient agir afin de forcer les acteurs politiques à respecter le droit des électeurs à des débats intelligents, honnêtes et substantiels.
Leur premier défi sera de ne pas être les complices des attaques vicieuses et mesquines des uns et des autres. En refusant de jouer ce jeu, ils forceront les candidats à trouver de meilleures façons de faire parler d’eux.
Un autre défi sera de servir constamment le droit du public à une information de qualité, en forçant les candidats et leurs stratèges à démontrer la véracité de leurs affirmations et le réalisme de leurs engagements. Ce travail critique pourra se substituer à la diffusion des sarcasmes, de phrases assassines et des attaques personnelles des adversaires politiques qui partagent pourtant le même intérêt à ne pas justifier leurs propres affirmations et engagements.
Toujours dans l’esprit du service public, on devrait empêcher les acteurs politiques de nous intoxiquer impunément avec des déclarations faites sous le couvert de l’anonymat, les sources anonymes étant de puissants vecteurs de désinformation. À ne pas oublier que les organisations politiques essaient d’influencer, sinon de manipuler l’opinion publique par le biais des médias et que bien des journalistes résistent peu aux leurres des scoops vite démentis ou récupérés publiquement par les mêmes qui les ont discrètement glissés à l’oreille du reporter.
La rigueur intellectuelle devrait convaincre les journalistes de ne pas diffuser des résultats de sondages aux méthodologies douteuses, tandis que le souci des débats substantiels devrait limiter le nombre de sondages sur les intentions de vote. Ces sondages mettent certes du piquant dans la course et de l’action dans les reportages, mais ils sont faibles en octane démocratique. Il faut à ce chapitre saluer la décision de la Société Radio-Canada de ne pas commander de sondages sur les intentions de vote (il y en aura déjà beaucoup d’autres de toute façon), afin de se concentrer sur des débats de fond.
D’autre part, les médias devraient documenter des enjeux importants pour les citoyens en se fiant à des sources compétentes et neutres. Cela est encore plus pertinent pour les chaînes d’information continue, où on oblige trop souvent les journalistes à remplir du temps d’antenne avec des propos répétitifs, des approximations et des affirmations douteuses parce qu’on ne leur donne pas le temps de tout vérifier avant de passer en ondes.
En matière de diversité, il serait apprécié que les médias, surtout les médias électroniques, soient plus imaginatifs dans leur choix d’invités pour nous présenter des points de vue différents, marginaux, voire provocateurs. De même, on souhaite qu’ils nous épargnent l’omniprésence de pseudo experts en tout et en rien dont on nous cache trop souvent les accointances partisanes.
La liste pourrait s’allonger, mais la commande est déjà très ambitieuse. Certains, désabusés ou plus lucides peut-être, diront trop ambitieuse.
Indices de méfiance
Pour compléter ce modeste guide médiatique de l’électeur sérieux, voici quelques indices qui devraient nous inciter à se méfier car l’intérêt médiatique (celui des médias, celui des journalistes, etc.) peut facilement supplanter l’intérêt public.
Il y a lieu de se méfier quand un journaliste de la télévision ou de la radio est plus intéressé par ses jeux de mots que par la substance de ses reportages qui ne nous disent rien sur les engagements des candidats et leurs raisons de les proposer aux électeurs. Et quand un journaliste, surtout de la presse écrite, rapporte les propos de sources anonymes, sachons que, le plus souvent, il se laisse utiliser par ceux qui veulent manipuler l’opinion publique pour en tirer un meilleur profit partisan.
De même quand, au terme d’entrevue télévisée ou radiophonique, nous avons l’impression d’en savoir davantage sur l’opinion du journaliste que sur celle de son invité, il y a là un sérieux indice de l’intention non pas de nous informer, mais de nous persuader.
Par ailleurs, nous devons avoir le sage réflexe de n’accorder aucune crédibilité au journaliste qui passe quelques heures dans un comté, mais prétend néanmoins nous dire ce qu’est vraiment l’allure de la campagne locale. Le plus souvent, cela repose à la fois sur une méconnaissance des lieux et sur la force de persuasion de certains organisateurs politiques.
Bien entendu, nous avons tous nos biais partisans et nos préférences. Cela influence grandement le regard critique que nous posons sur le travail des journalistes et la couverture médiatique quotidienne. Cela nous incite parfois à nous exposer avec complaisance et à répétition aux messages qui nous plaisent et à rejeter trop facilement ceux qui nous choquent. S’informer ne doit pas être un comportement d’auto persuasion. Au contraire, c’est faire face aux faits qui ébranlent nos croyances et nous déstabilisent.
Il y a donc lieu, finalement, de se méfier même des convictions que nous possédons, car elles nous possèdent aussi au point de contaminer notre bon jugement, comme l’a écrit le sociologue français Edgar Morin.
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