dimanche, décembre 17, 2006

La faute journalistique de la RTBF

La RTBF a transgressé à l’éthique et à la déontologie du journalisme

Par Marc-François Bernier (Ph.D.)
mbernier@uottawa.ca

Qu’on la nomme « docu-fiction » ou « canular », l’initiative de la RTBF demeure indéfendable sur les plans de l’éthique et de la déontologie du journalisme. Voici un cas flagrant de transgression des normes journalistiques, une réelle faute professionnelle.

Il ne suffit pas de prétendre que la rédaction de la RTBF a respecté la déontologie du journalisme, comme l’ont soutenu certains de ses représentants au lendemain de la diffusion de l’émission controversée. Il faut en faire une démonstration rationnelle qui soit compatible avec les principes éthiques et les règles déontologiques reconnus. Une telle mission semble impossible.

En effet, l’analyse de centaines de codes de déontologie révèle que les principes éthiques du journalisme s’articulent autour des valeurs suivantes : servir l’intérêt public ; diffuser des informations véridiques au terme d’une démarche marquée par la rigueur des raisonnements et l’exactitude des faits ; être équitable aussi bien dans les moyens de collecte de l’information que dans son traitement et son suivi ; être impartial et intègre.

Concrètement, ces principes se déclinent sous la forme de règles déontologiques qui prescrivent (et proscrivent) certaines pratiques journalistiques. Par exemple, au nom de l’information d’intérêt public, le journaliste doit respecter la vie privée des gens. Au nom de l’équité, le journaliste doit clairement s’identifier auprès de ses sources d’information. Au nom de l’intégrité, le journaliste ne doit pas se retrouver en situation de conflits d’intérêts ou encore se livrer à quelque plagiat que ce soit. La liste n’est pas exhaustive, mais ces quelques exemples suffisent.

Bien entendu, si elles sont pertinentes et applicables dans la grande majorité des situations de la vie quotidienne, les règles déontologiques ne peuvent prévoir tous les cas d’espèce, si bien qu’il serait intenable de les suivre aveuglément.

Dans certains cas, l’adhésion rigide aux règles déontologiques peut conduire à des situations aberrantes, voire dangereuses. Ainsi, le devoir journalistique de diffuser la vérité doit-il s’imposer quand cela menace la vie d’individus, dans des situations d’enlèvement par exemple, ou lorsque cette information peut générer des paniques importantes au sein de la population ? On sait aussi qu’il survient des situations où le journaliste devra cacher son identité afin d’avoir accès à des informations importantes pour éclairer les choix des citoyens.

La réflexion éthique appliquée en journalisme reconnaît donc qu’il existe de « bonnes raisons » pour déroger à la déontologie. On peut identifier ces raisons en se posant les « bonnes questions ». Les plus fréquentes sont les suivantes. Quelles sont les règles qui s’appliquent généralement dans de telles circonstances ? Qui en tirera profit et qui en subira les effets néfastes? Existe-t-il de meilleures options ? Pourrai-je me justifier auprès des autres, du public ? L’intérêt public de l’information est-il supérieur aux conséquences néfastes qui en résultera pour les individus ? L’information répond-elle à un important besoin de connaître ?

Ce questionnement est relié aux valeurs sociales que partagent les journalistes et permet de baliser et légitimer leurs pratiques professionnelles. Si les réponses qu’il génère sont favorables à un écart aux règles déontologiques reconnues, on peut parler d’une dérogation. Toutefois, lorsque les réponses sont défavorables à un tel écart aux règles, on est en présence d’une transgression à la déontologie qui conduit à la faute professionnelle.

Dans le cas de la RTBF, on a voulu sensibiliser la population à l’avenir du pays. Pour ce faire, on a diffusé de fausses informations qui étaient vraisemblables. Pour ce faire, on a eu recours à des mises en scène. Pour ce faire, on a causé de vives émotions à des milliers de citoyens. Les responsables ont volontairement voulu déjouer la vigilance des téléspectateurs en refusant de leur indiquer explicitement que l’émission spéciale était une fiction. Pendant de longues minutes, ils ont privé leur public de son autonomie, le rendant captif d’un scénario vraisemblable, mais néanmoins trompeur.

Sur le plan éthique, il faut se demander si la fin justifie les moyens. Fallait-il tromper les gens pour susciter le débat ? Était-il possible de produire un « docu-fiction » explicite, avec des comédiens plutôt que des journalistes professionnels, et qui aurait fait l’objet d’une importante campagne publicitaire afin de susciter l’intérêt du public ? Était-il possible de servir l’intérêt public sans pour autant instrumentaliser les citoyens, sans se servir des citoyens, sans abuser de leur bonne foi et de la crédibilité que plusieurs accordaient aux journalistes de la RTBF ?

Il est permis de d’affirmer que d’autres options permettaient de stimuler un débat important sans pour autant instrumentaliser les citoyens, sans les priver de leur autonomie, sans les tromper. Le « docu-fiction » de la RTBF (si tant est qu’un tel genre journalistique existe !) est incompatible avec l’éthique et la déontologie du journalisme dont il transgresse normes et règles, ce qui caractérise toute faute journalistique.

Alors que cette émission spéciale devait relancer le débat sur l’avenir du pays, elle a braqué les projecteurs sur les dérapages de la rédaction de la RTBF en plus de nuire à un grand nombre de citoyens. Les inconvénients sont plus importants que les avantages, ce qui réfute les justifications utilitaristes.

Quant aux citoyens, ils ont en été les cobayes d’une expérimentation de psychologie sociale qui n’aurait jamais été acceptée par un comité d’éthique scientifique, au nom de la dignité humaine qui s’oppose à une telle instrumentalisation.

samedi, septembre 30, 2006

Réflexe journalistique

Libre opinion: Réflexe journalistique
Le Devoir édition du vendredi 22 septembre 2006
Jean Robillard
Philosophe et professeur de communication à TELUQ-UQAM

Décidément, d'une tragédie à une autre, les journalistes n'apprennent pas, ou si peu. Le respect des personnes, acteurs plus ou moins directement liés à un événement comme celui de la fusillade au cégep Dawson, est une valeur qui semble désormais disparue de l'écran radar médiatique.

Des lecteurs du Devoir se sont interrogés sur le bien-fondé de la diffusion de l'adresse de la famille du tueur ? La direction de leur journal publie une note (samedi 16 septembre 2006) qui met en avant ce motif à la décision de le faire : «C'est par réflexe de livrer les informations les plus exactes possible que ce détail s'est retrouvé dans nos pages.» Réflexe ? Détail ? Voyons plutôt.

Pour en lire davantage, cliquer sur le titre ci-haut

mercredi, avril 05, 2006

De la parfaite adéquation du journalisme à la « société de l'information »

Patrick-Yves Badillo

Patrick-Yves Badillo est professeur en Sciences de l'information et de la communication à l'université de la Méditerranée (Aix-Marseille 2) (...)

Dans le contexte de la "société de l'information et de la connaissance", l'accès à l'information et la communication constitue probablement l'un des enjeux les plus importants de ce début de XXIème siècle. Alors qu'aujourd'hui près de 20 % la population mondiale est illettrée, on estime que le citoyen américain passe en moyenne, en 2004, environ dix heures par jour, et dépense près de 800 dollars par an, pour être informé et profiter des possibilités de l'industrie de l'entertainment. Les statistiques disponibles donnent les chiffres suivants : le consommateur américain moyen passe 9 h 35 par jour en liaison avec les médias selon la décomposition suivante (Source : Advertising Age, 2006 ; les temps incluent des aspects "multi-tâches" comme par exemple regarder la télévision et consulter le Web en même temps) : TV 256 minutes ; radio 160 minutes ; Internet 31 minutes ; journaux 29 minutes ; musique enregistrée 29 minutes ; magazines 20 minutes ; livres 17 minutes ; DVD & VCR préenregistrés 14 minutes ; jeux vidéo 14 minutes ; contenu sur les mobiles 3 minutes ; théâtre 2 minutes.

On peut remarquer que ces statistiques ne distinguent nullement ce qui relève de l'information et ce qui est de l'"infotainment". On peut craindre qu'en réalité l'infotainment ne prenne le pas sur l'information, avec une part très faible des "médias" à fort contenu en information et en "connaissance" comme les journaux, les livres ou les magazines réduits à la portion congrue.

(...)

Plus de technologie, plus de réseaux, plus d'information, plus de connaissance, plus de démocratie : l'équation paraît simple et pertinente. Le journalisme épouserait parfaitement la dynamique favorable de la "société de l'information"... Mais, au-delà de l'euphorie, il faut bel et bien s'interroger sur la déchirure entre les technologies de l'information et de la communication (TIC), les médias et le journalisme.
(Pour lire le texte, cliquer sur le titre)

jeudi, février 09, 2006

Responsabilité ou censure: Mahomet et les médias

Responsabilité ou censure: Mahomet et les médias


Marc-François Bernier (Ph.D.)
Professeur agrégé
Département de communication
Université d’Ottawa
mbernier@uottawa.ca
L’auteur est un expert en éthique et en déontologie du journalisme. Ce texte a été publié dans le quotidien Le Droit (Ottawa), le mercredi 8 février 2006, à la demande de l'éditorialiste Pierre Jury.


Devant la violence et l’irrationalité de l’intolérance religieuse, il est préférable d’être responsable, quitte à paraître « lâche », que de provoquer davantage et multiplier les victimes innocentes.

Il n’y a pas de réponse parfaite au dilemme de publier ou non les caricatures du prophète Mahomet qui offensent bon nombre de musulmans, mais il peut y avoir des réponses plus ou moins responsables. Sur le plan des principes, l’affaire est rapidement jugée en faveur d’une liberté absolue, c’est dans la réalité concrète que tout se complique. En effet, ceux qui décident de publier de telles caricatures, au nom de la liberté d’expression, ne peuvent nier qu’ils auront une part de responsabilité s’ils enflamment des esprits qu’ils savent prêts à tout, même au meurtre.

Avant tout autre considération, il faut affirmer sans réserve qu’aucune croyance morale ou religieuse ne peut justifier l’intimidation, la haine, les menaces et encore moins les attaques criminelles ou terroristes. Les leaders musulmans ont l’obligation de contenir les débordements d’agressivité d’inspiration religieuse. Ils doivent encourager le dialogue avec l’Occident qui a largement réussi à dompter ses folies religieuses qui ont été meurtrières, notamment au temps des Croisades chrétiennes au Moyen Orient.

Ceci étant dit, publier aujourd’hui les caricatures de Mahomet par bravade, par simple souci d’affirmer sa liberté d’expression ou pour l’honneur machiste de la provocation n’est pas en soi une justification morale.

Les premiers qui ont diffusé ces caricatures ne savaient peut-être pas que cela engendrerait une telle réaction et il est bien difficile de leur faire porter une grande part de responsabilité dans les événements qui ont suivi. Mais ceux qui veulent maintenant les imiter ou les appuyer en répétant le geste savent les risques que cela fait peser sur eux tout d’abord, mais aussi sur des tiers innocents. Ces derniers ne se sont pas portés volontaires pour devenir les victimes d’une croisade pour la liberté d’expression et son prolongement, la liberté de presse. Il est trop facile de défendre ses libertés individuelles ou professionnelles en en faisant payer le prix aux autres.

Avant de décider si on publie ou non de telles caricatures, il faut soupeser les valeurs et principes qui s’affrontent, soit le respect des croyances religieuses et la liberté d’expression. Il faut aussi tenir compte des conséquences prévisibles et probables. Le journal qui déciderait de diffuser de telles caricatures ne peut plaider l’ignorance et devra assumer sa part de responsabilité pour les explosions de violence que cela alimentera, et pour les innocentes victimes qui tomberont dans un combat qu’elles n’ont pas choisi.

Le dilemme est de savoir si on peut publier ou non de telles caricatures qui offensent des centaines de millions de musulmans et au nom de quoi faudrait-il le faire. Compte tenu des conséquences probables et prévisibles, cette décision ne peut pas être un simple caprice. Au contraire, il faut avoir de solides arguments, ce qui nécessite de répondre aux questions suivantes.

On doit se demander en quoi cette diffusion comble un réel besoin d’informer, ou en quoi cela sert-il l’intérêt public ? On doit soupeser ce qui importe le plus, affirmer le principe fondamental de la liberté qui n’est pas foncièrement menacé ici ou protéger des vies ? Y a-t-il d’autres moyens d’affirmer la liberté d’expression sans risquer des conséquences graves ? En quoi ne pas publier brime réellement la liberté ? Faut-il nécessairement faire tout ce que permet la liberté, ou bien est-il préférable de se restreindre volontairement, dans certaines circonstances ? La liberté individuelle doit-elle s’exercer sans égard aux risques collectifs que cela suppose ? Est-il possible de saisir cette crise pour faire avancer la compréhension et la tolérance mutuelles ? Ces questions vont générer des réponses diverses et chacun pourra adopter le comportement de son choix.

Il n’est pas question de censure ici, puisque la censure interdit en imposant le silence. De toute façon, on peut tous voir ces caricatures sur Internet. La justification de publier ces caricatures offensantes est donc moins élevée pour les médias traditionnels alors que les risques demeurent les mêmes.

Sans doute est-il important de ne pas abandonner les libertés chèrement acquises. Mais faire des choix responsables, c’est aussi affirmer sa liberté. Il existe certainement de meilleurs combats que celui-ci pour qui veut protéger la valeur positive de la liberté d’expression et la liberté de presse.

Finalement, le sens commun incline à distinguer les caricatures humoristiques de celles qui laissent croire que Mahomet encourage le terrorisme. Toutes les caricatures n’ont pas le même poids et cela doit aussi être pris en compte, par tous les protagonistes.

lundi, janvier 16, 2006

Les objectifs de MétaMédias

Le blogue MétaMédias prend le relais du site Internet qui a existé pendant quelques années. Il veut favoriser une meilleure connaissance des pratiques journalistiques grâce aux interventions d'analystes, de chercheurs et d'observateurs du milieu journalistique.

La notion de «pratiques journalistiques» fait référence à ce que les journalistes publient ou diffusent - et à ce qu'ils ne diffusent pas dans une certaine mesure - mais aussi au traitement accordé à l'information (genres journalistiques, direct, sensationnalisme, équité, rigueur, impartialité, etc.) et les moyens utilisés pour ce faire (caméras cachées, sources anonymes, etc.).

Les lieux d'échange, d'observation et de critique rigoureuse des pratiques journalistiques sont rares dans le monde francophone, alors qu'ils fleurissent au sein des sociétés anglo-saxonnes.

Vous êtes invités à faire part de vos analyses et recherches concernant les pratiques journalistiques. Il nous fera grand plaisir de leur réserver une vitrine électronique sans frontière si ces collaborations rencontrent nos objectifs de stimulation d'un sain et fécond débat public, rigoureux et respectueux des règles élémentaires de l'argumentation rationnelle.

Bon passage chez-nous!

lundi, janvier 09, 2006

France 2 et Radio-Canada : deux conceptions de la médiation

Marc-François BERNIER et Hélène ROMEYER

Différents médiateurs existent dans le secteur des médias que ce soit en presse ou en radio télévision. L'idée commune veut que ces médiateurs soient tous plus ou moins héritiers de traditions nord-américaines. Cet article se propose donc, à travers la comparaison des cas français et canadien, de souligner les ressemblances et différences de deux modèles.

En France, la médiation de la rédaction de France 2 s'exerce à travers une émission, tous les samedis après le journal télévisé. Ce programme autoréflexif donne la parole aux téléspectateurs venant exposer leurs griefs vis-à-vis de l'information de la chaîne et publicise ainsi une réflexion sur la responsabilité des journalistes et/ou du message télévisuel. Au Canada, l'ombudsman de Radio-Canada fonctionne plutôt comme un mécanisme d'imputabilité journalistique qui reçoit des plaintes, les analyse et se prononce quant à leur bien fondé. Ses décisions se retrouvent dans un rapport annuel qui s'est beaucoup transformé depuis 1993 : plus court mais beaucoup plus diffusé, notamment sur l'Internet.

Si certaines similitudes existent entre ces deux modèles, les divergences restent plus nombreuses. L'étude que nous proposons permettra ainsi de mettre en évidence que le rôle et la fonction de ces deux médiateurs ne sont pas identiques : le modèle canadien se rapprochant d'une procédure juridique, alors que le modèle français se contente d'un espace de débat.

(CLIQUER SUR LE TITRE POUR LIRE L'ARTICLE AU COMPLET)