La RTBF a transgressé à l’éthique et à la déontologie du journalisme
Par Marc-François Bernier (Ph.D.)
mbernier@uottawa.ca
Qu’on la nomme « docu-fiction » ou « canular », l’initiative de la RTBF demeure indéfendable sur les plans de l’éthique et de la déontologie du journalisme. Voici un cas flagrant de transgression des normes journalistiques, une réelle faute professionnelle.
Il ne suffit pas de prétendre que la rédaction de la RTBF a respecté la déontologie du journalisme, comme l’ont soutenu certains de ses représentants au lendemain de la diffusion de l’émission controversée. Il faut en faire une démonstration rationnelle qui soit compatible avec les principes éthiques et les règles déontologiques reconnus. Une telle mission semble impossible.
En effet, l’analyse de centaines de codes de déontologie révèle que les principes éthiques du journalisme s’articulent autour des valeurs suivantes : servir l’intérêt public ; diffuser des informations véridiques au terme d’une démarche marquée par la rigueur des raisonnements et l’exactitude des faits ; être équitable aussi bien dans les moyens de collecte de l’information que dans son traitement et son suivi ; être impartial et intègre.
Concrètement, ces principes se déclinent sous la forme de règles déontologiques qui prescrivent (et proscrivent) certaines pratiques journalistiques. Par exemple, au nom de l’information d’intérêt public, le journaliste doit respecter la vie privée des gens. Au nom de l’équité, le journaliste doit clairement s’identifier auprès de ses sources d’information. Au nom de l’intégrité, le journaliste ne doit pas se retrouver en situation de conflits d’intérêts ou encore se livrer à quelque plagiat que ce soit. La liste n’est pas exhaustive, mais ces quelques exemples suffisent.
Bien entendu, si elles sont pertinentes et applicables dans la grande majorité des situations de la vie quotidienne, les règles déontologiques ne peuvent prévoir tous les cas d’espèce, si bien qu’il serait intenable de les suivre aveuglément.
Dans certains cas, l’adhésion rigide aux règles déontologiques peut conduire à des situations aberrantes, voire dangereuses. Ainsi, le devoir journalistique de diffuser la vérité doit-il s’imposer quand cela menace la vie d’individus, dans des situations d’enlèvement par exemple, ou lorsque cette information peut générer des paniques importantes au sein de la population ? On sait aussi qu’il survient des situations où le journaliste devra cacher son identité afin d’avoir accès à des informations importantes pour éclairer les choix des citoyens.
La réflexion éthique appliquée en journalisme reconnaît donc qu’il existe de « bonnes raisons » pour déroger à la déontologie. On peut identifier ces raisons en se posant les « bonnes questions ». Les plus fréquentes sont les suivantes. Quelles sont les règles qui s’appliquent généralement dans de telles circonstances ? Qui en tirera profit et qui en subira les effets néfastes? Existe-t-il de meilleures options ? Pourrai-je me justifier auprès des autres, du public ? L’intérêt public de l’information est-il supérieur aux conséquences néfastes qui en résultera pour les individus ? L’information répond-elle à un important besoin de connaître ?
Ce questionnement est relié aux valeurs sociales que partagent les journalistes et permet de baliser et légitimer leurs pratiques professionnelles. Si les réponses qu’il génère sont favorables à un écart aux règles déontologiques reconnues, on peut parler d’une dérogation. Toutefois, lorsque les réponses sont défavorables à un tel écart aux règles, on est en présence d’une transgression à la déontologie qui conduit à la faute professionnelle.
Dans le cas de la RTBF, on a voulu sensibiliser la population à l’avenir du pays. Pour ce faire, on a diffusé de fausses informations qui étaient vraisemblables. Pour ce faire, on a eu recours à des mises en scène. Pour ce faire, on a causé de vives émotions à des milliers de citoyens. Les responsables ont volontairement voulu déjouer la vigilance des téléspectateurs en refusant de leur indiquer explicitement que l’émission spéciale était une fiction. Pendant de longues minutes, ils ont privé leur public de son autonomie, le rendant captif d’un scénario vraisemblable, mais néanmoins trompeur.
Sur le plan éthique, il faut se demander si la fin justifie les moyens. Fallait-il tromper les gens pour susciter le débat ? Était-il possible de produire un « docu-fiction » explicite, avec des comédiens plutôt que des journalistes professionnels, et qui aurait fait l’objet d’une importante campagne publicitaire afin de susciter l’intérêt du public ? Était-il possible de servir l’intérêt public sans pour autant instrumentaliser les citoyens, sans se servir des citoyens, sans abuser de leur bonne foi et de la crédibilité que plusieurs accordaient aux journalistes de la RTBF ?
Il est permis de d’affirmer que d’autres options permettaient de stimuler un débat important sans pour autant instrumentaliser les citoyens, sans les priver de leur autonomie, sans les tromper. Le « docu-fiction » de la RTBF (si tant est qu’un tel genre journalistique existe !) est incompatible avec l’éthique et la déontologie du journalisme dont il transgresse normes et règles, ce qui caractérise toute faute journalistique.
Alors que cette émission spéciale devait relancer le débat sur l’avenir du pays, elle a braqué les projecteurs sur les dérapages de la rédaction de la RTBF en plus de nuire à un grand nombre de citoyens. Les inconvénients sont plus importants que les avantages, ce qui réfute les justifications utilitaristes.
Quant aux citoyens, ils ont en été les cobayes d’une expérimentation de psychologie sociale qui n’aurait jamais été acceptée par un comité d’éthique scientifique, au nom de la dignité humaine qui s’oppose à une telle instrumentalisation.
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