Analyse publiée dans le quotidien Le Soleil, lundi 26 juillet 2004, p. A15.
Marc-François Bernier
Ce n'est pas vraiment la liberté d'expression des gens de CHOI que le CRTC vient de freiner, mais bien leur privilège d'exploiter à des fins privées les ondes qui appartiennent au public. Grâce à Internet, tous les animateurs de Genex peuvent continuer à diffuser ce qu'ils veulent, sans se soucier du CRTC, quitte à en répondre devant les tribunaux civils par la suite.
La liberté d'expression est utilisée comme un paravent par les temps qui courent. Ceux qui crient le plus fort cherchent à faire oublier leurs obligations dans une société qui reconnaît la notion de liberté responsable des médias. Ils omettent de rappeler que le jour où ils ont demandé au CRTC la permission d'exploiter les ondes publiques, ils s'étaient engagés à respecter certaines règles du jeu en matière de programmation.
Or, CHOI et Genex n'ont pas respecté leur parole en refusant de se plier aux obligations qui venaient avec leur licence. Ils ont même refusé de respecter leurs engagements pris il y a deux ans au moment du renouvellement. Jusqu'à preuve du contraire, le CRTC n'a fait qu'appliquer des règles connues de tous. Les gens de Genex ont rompu le contrat social mais, comme tous les chauffards pris en flagrant délit de conduite dangereuse, ils jettent le blâme sur les policiers et la loi.
Par ailleurs, la décision du CRTC ne bafoue la liberté d'expression de personne puisque tous les animateurs de Genex peuvent, dès aujourd'hui, diffuser entièrement dans Internet, un secteur qui n'est pas réglementé. Ils peuvent aussi créer un journal ou un magazine. Ce qu'ils ne peuvent plus faire, c'est exploiter les ondes publiques à des fins commerciales. C'est l'accès à des ondes publiques limitées qui leur est refusé.
Il se peut que la bataille légale que veulent livrer les gens de Genex tourne à leur avantage, quoique cela serait surprenant. Mais sur le plan de l'éthique de la communication et de l'information, ils ont déjà perdu la partie en refusant de se plier aux principes de la rigueur et de la vérité (en diffusant faussetés et demi-vérités), de l'intérêt public (en attaquant parfois la vie privée de certaines personnes), de l'équité (en refusant parfois de reconnaître le présomption d'innocence de gens faisant face à la justice) et de l'intégrité (avec des attaques déloyales).
Certes, Genex et ses animateurs auront droit à un certain appui populaire au cours des prochains mois. Mais tous ceux qui sont prêts à leur accorder une liberté d'expression sans limite (ce qui n'existe dans aucun pays démocratique) ont aussi un devoir de cohérence. Ainsi, ils doivent accepter qu'eux-mêmes, leurs parents, leurs enfants, leurs amis soient l'objet des attaques les plus vicieuses portant sur leurs attributs physiques ou encore sur des aspects de leur vie privée, quitte à y perdre leur réputation. Ils doivent accepter qu'une entreprise privée exploite un bien public appartenant à tous les Canadiens, les ondes, pour attaquer ce que ces mêmes Canadiens ont de plus cher, leur dignité humaine. Je doute qu'ils acceptent une telle chose.
Néanmoins, que des milliers d'auditeurs acceptent d'être l'objet d'un tel traitement et trouvent plaisir à écouter les attaques personnelles de certains animateurs ne justifie nullement de sacrifier les droits fondamentaux d'un seul citoyen refusant d'être la cible de cette violence verbale qui privilégie l'intimidation plutôt que la discussion.
Pour qui est victime de procédés injustes et d'abus de pouvoir, peu importe que la tyrannie soit celle du prince de l'État ou du roi des ondes. Il s'agit toujours d'une agression insupportable.
Sans doute, le CRTC aurait pu trouver des sanctions moins radicales pour les nombreux employés de Genex qui n'abusent pas des ondes publiques. Il aurait pu protéger la vocation musicale de la station et empêcher la vente de publicité pendant les émissions les plus controversées. Mais l'attitude intransigeante des représentants de Genex lors des audiences publiques de février dernier aura sans doute contribué à faire déborder le vase. Cela a convaincu les commissaires qu'il ne fallait attendre aucune modification substantielle de la part de certains animateurs-vedettes. C'est pourquoi Genex est la seule responsable de son malheur.
Ce qui est réellement en jeu ici, c'est uniquement la capacité d'une entreprise privée d'exploiter de façon irresponsable des ondes publiques afin de générer de bons profits et de gros salaires. L'actuel débat émotif sur la liberté d'expression est une diversion, une stratégie d'entreprise.