Les médias face à leurs publics :
la nouvelle imputabilité
Appel de propositions
Colloque francophone international à se tenir en mai
2016,
Université d’Ottawa, Canada
18 au 20 mai 2016
Partenaires : Agence
Universitaire de la Francophonie, l’Organisation Internationale de la Francophonie,
l’Université d’Ottawa (autres partenaires à confirmer).
Le contexte
Ces dernières années,
l'évaluation critique des dispositifs traditionnels d'imputabilité
journalistique a connu une vague de recherches qui ont à nouveau mis en lumière
leur faible efficacité, voir leur manque de crédibilité (Leveson 2012,
Finkelstein 2012, Watson et Hickman 2012, Bernier 2013a, Fengler 2012). De
nombreuses recherches ainsi que plusieurs témoignages en arrivent à des
conclusions négatives quant à l’efficacité ou la neutralité des dispositifs
d'autorégulation (Corriveau et Sirois 2012, Eberwein et al 2011). On peut affirmer qu'en matière d'autorégulation des
médias d’information, l'ère est au désenchantement.
Par imputabilité
journalistique, on fait référence ici à l’ensemble des dispositifs et des
initiatives qui incitent ou contraignent les journalistes et les médias
d’information à rendre des comptes (accountability)
quant à leur volonté ou leur capacité à assumer leurs responsabilités et
obligations liées à l’éthique et la déontologie qui les concernent.
En même temps que la
recherche empirique accumule les résultats ébranlant le mythe de l'efficacité
des dispositifs traditionnels d'imputabilité liés à l'autorégulation, on
observe l'émergence de dispositifs novateurs d'imputabilité journalistique
(Eberwein et al 2011, Fengler et al 2014a, 2014b, Bernier 2013b). Ce sont les
citoyens qui en sont les principaux acteurs.
Grâce aux blogues, aux
espaces d'interactivité que l'on retrouve sur les médias en ligne et, surtout,
grâce aux médias sociaux (Twitter, Facebook, YouTube, etc.) les citoyens, de
façon concertée ou spontanée, réagissent aux contenus journalistiques produits
et diffusés par les médias. Pour la première fois de l'histoire de la presse,
ils peuvent intervenir directement et exprimer leurs doléances, agissant ainsi
comme des corégulateurs spontanés en exigeant davantage de transparence et
d'imputabilité de la part des médias d'information et de leurs journalistes.
D'aucuns estiment que cette façon directe pourrait être plus efficace que les
dispositifs traditionnels que sont les conseils de presse, ombudsman et
médiateurs de presse.
De toutes parts, les observateurs,
professionnels et chercheurs spécialisés en médias et en journalisme ne cessent
de constater la montée en puissance des citoyens comme sources plus ou moins
influentes (de Keyser, Raeymarckers et Paulussen 2011), comme générateurs de
contenu ou comme journalistes amateurs. Cette participation accrue et constante
ne se limite pas à la production médiatique, elle s'étend à la critique des
élites politiques et économiques.
Cette fonction de
surveillance des chiens de garde de la démocratie avait traditionnellement été
accaparée par différents groupes (ATTAC, FAIR, etc.), institutions (tribunaux,
syndicats, lieux de recherche et de formation, etc.) et dispositifs professionnels
(conseils de presse, ombudsman, etc.). Ce qui les caractérisait était leur
aspect organisé, voire collectif, ce qui pouvait les rendre en quelque sorte
prévisibles pour les acteurs médiatiques.
Quant aux citoyens intéressés
à la vie des médias et au journalisme, bien peu de place leur était accordée,
soit à l'intérieur de groupes organisés pas toujours présents dans leur région,
soit en agissant de façon isolée par l'intermédiaire de plaintes ou de lettres
ouvertes, autant de démarches qui étaient traitées, filtrées, acceptées ou
rejetées sur la base d'une grille d'analyse fortement influencée par des
intérêts, des valeurs et des traditions journalistiques que contestaient
parfois ces mêmes citoyens.
Dans l’ordre médiatique
ancien, les publics avaient un accès limité à l’espace public tout comme à
l’espace médiatique (temps d’antenne, commentaires ou lettres ouvertes dans les
journaux, etc.). Leurs messages étant soit ignorés par les médias, soit filtrés
par ceux-ci en fonction de critères journalistiques (Ericson, Baraneck et Chan
1987).
Avec Internet et le Web 2.0,
les citoyens ont spontanément entrepris d’agir comme un 5e pouvoir
(Jericho 2013), celui qui observe, critique, invective même le 4e
pouvoir, celui des médias et de leurs journalistes. Il ne faut pas s'étonner de
l'irruption des publics dans ce rôle de vigie des « chiens de garde de la
démocratie ». Depuis quelques décennies déjà, il est bien documenté que
les citoyens sont loin de partager la même conception de l'information que
celle mise de l'avant par les médias et leurs journalistes. De nombreuses
enquêtes ont mesuré l'écart, parfois le gouffre, qui séparait le jugement
éditorial du public et celui des journalistes (Tsafi, Meyers et Peri 2006, Tai
et Chang 2002, Voakes 1997), sur divers enjeux liés à la vie privée de
personnalités publiques et d'élus par exemple, ou encore que le public
privilégie la fonction de « bon voisin » plutôt que celle de
« chien de garde » (Poindexter, Heider et McCombs 2006).
Certes, il faut se méfier des
réponses nobles et socialement désirables que les publics donnent à certaines
questions, réponses qui ne correspondent pas toujours à leur consommation
réelle (Roshier 1981, Missika 1989). Mais peut-on les ignorer pour autant?
Surtout quand médias et journalistes prétendent travailler pour servir le droit
du public à l'information.
En somme, le 4e pouvoir est
plus que jamais confronté aux publics dont il s'est toujours dit le
représentant pour affirmer sa légitimité sociale et politique, pour défendre sa
conception de la liberté de la presse et, il faut le dire, défendre ses
intérêts économiques. On peut même y voir une forme de sanction du fameux
marché (Fengler 2012) qui sortirait ainsi de son état de latence imposée.
Selon Jarvis (2007), tous les
usagers et les journalistes devraient être considérés comme des ombudsmans. De
cette façon, le contact avec le public n'est plus réservé à une seule personne
(ombudsman, médiateur, etc.), le journaliste est informé des commentaires, des
corrections, des informations et précisions que lui acheminent les publics.
Cela contribuerait à améliorer la qualité de l'information. La recherche en
journalisme a par ailleurs souligné de façon importante le rôle des
journalistes citoyens comme curateurs des médias d’information, particulièrement
quand la qualité du travail journalistique fait défaut (Bruns 2011).
Il est révélateur d'observer
qu'en France, dans le cadre des États généraux de la presse de 2009, on a en
quelque sorte pris acte de l'irruption des publics en préconisant une nouvelle
règle: « Le journaliste est attentif aux critiques et suggestions du
public. Il les prend en compte dans sa réflexion et sa pratique
journalistique » (Ruellan 2011, 38-39).
Fengler (2008) a observé que
la plupart des bloggeurs qui s’intéressent aux médias, aux États-Unis, se
considèrent comme des chiens de garde des médias, avec une forte motivation à
les critiquer, au point où plusieurs adhèrent assez facilement aux théories du
complot pour expliquer des comportements de journalistes qui leur semblent
biaisés politiquement. Olav Anders Øvrebø (2008) a aussi constaté que ces
nouveaux critiques externes sont souvent portés à exagérer leurs attaques, sans
trop prendre la peine de se documenter convenablement, ce que d’aucuns, chez
les journalistes, leur reprocheront pour mieux discréditer toute critique.
En Allemagne, une enquête
menée auprès de 20 000 usagers d’un blogue consacré à la critique des médias
révèle néanmoins que 84 % de ceux-ci identifient le divertissement comme première
motivation (Fengler 2012). Il ne faut donc pas avoir une conception uniquement
« citoyenne » de ces usagers, sans toutefois nier la présence de
cette motivation « noble ».
Certains estiment finalement
que l'interactivité qui caractérise Internet et les médias émergeants constitue
une nouvelle forme d'imputabilité qui se distingue des dispositifs
traditionnels. Elle serait plus directe et efficace que les institutions
traditionnelles (Domingo et Heikkila 2011) et à faible coût (Fengler 2012). Ils ajoutent que les critiques en ligne (blogues,
pages Facebook, site Internet) peuvent parfois forcer les médias à corriger des
erreurs, sanctionner des journalistes et, dans certains cas, encourager des
gens à se plaindre à des conseils de presse, hybridant ainsi formes d'imputabilité
nouvelles et traditionnelles.
Questions de recherche
Compte tenu de la présence croissante des citoyens comme acteurs d’une
corégulation spontanée, il y a lieu de mieux documenter ce phénomène, de se
livrer à l’observation méthodique de ses manifestations. Sans prétention à
l’exhaustivité, voici certaines des questions de recherche qui seront
explorées lors du colloque:
• De quelles façons se manifestent les dispositifs novateurs visant à
assurer l’imputabilité journalistique et des médias d’information ?
• Ces dispositifs sont-ils efficaces, dans quelles circonstances ?
• Leur efficacité repose-t-elle sur la notoriété de ceux et celles qui
émettent publiquement des critiques ?
• Comment les médias et les journalistes s’adaptent-ils à ces formes
novatrices de corégulation ?
• Cela menace-t-il à terme la pertinence des dispositifs traditionnels
comme le médiateur de presse, l’ombudsman ou le conseil de presse?
• Quelles sont les motivations, les compétences et les attentes des
citoyens qui interviennent dans l’espace public ?
Le colloque et la publication
Le colloque se tiendra sur le campus de l’Université d’Ottawa en mai 2016.
Les meilleures contributions du colloque seront regroupées dans un ouvrage
dont la publication est prévue pour décembre 2016. Ce livre sera destiné aux
centres de formation francophones en journalisme (programmes universitaires,
centres de formation, écoles de journalisme, etc.).
Afin d’assurer la publication de l’ouvrage, les participants dont la
proposition de communication aura été acceptée devront faire parvenir une
version écrite et exhaustive de leur communication au plus tard 4 semaines
avant la date du colloque. Une version finale sera ensuite acheminée dans les 6
semaines après le colloque.
Ces versions écrites auront un entre 3600 et 3800 mots, excluant les
références.
Les participants dont la communication aura été acceptée et acheminée à
l’avance seront pris en charge (déplacement et hébergement) par les
organisateurs du colloque.
Les propositions
Les propositions attendues seront diverses, mais les enquêtes empiriques
seront favorisées.
Elles peuvent être basées sur des études de cas, des recherches
quantitatives ou qualitatives, des recherches comparatives, des enquêtes auprès
de journalistes ou de citoyens engagés dans la veille et la critique des
pratiques journalistiques, etc.
Les chercheurs intéressés à participer à ce colloque international
francophone doivent faire parvenir un résumé de 300 à 500 mots exposant leur
problématique, leur méthodologie et, le cas échéant, les résultats anticipés.
Il faut faire parvenir le titre et le résumé de leur communication, avec La
nouvelle imputabilité comme sujet du message, à l’attention de Marc-
François Bernier (mbernier@uottawa.ca), avant le 1er juin septembre 2015.
Une réponse sera donnée au plus tard le 1er septembre novembre 2015 par le comité scientifique,
après un processus d’évaluation en double aveugle.
Veuillez indiquer votre nom et vos références (affiliation, université ou
institution, adresse électronique, numéro de téléphone et titre de
communication) dans le corps de votre message.
Références
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