Le Soleil
Opinions, samedi, 28 avril 2007, p. 33
Analyse
Marc-François Bernier, coordonnateur du programme de journalisme de l'Université d'Ottawa*
Un lock-out pour les actionnaires
Au risque de simplifier à outrance, je résumerais ainsi le lock-out préparé de longue date qui s'est abattu sur les journalistes du Journal de Québec la fin de semaine dernière. Il a comme objectif primordial de maximiser la convergence pour satisfaire les actionnaires et non pas celui d'améliorer la qualité et la diversité de l'information.
La convergence des médias, c'est essentiellement de pouvoir diffuser des textes, des images et du son sur un même support informatique grâce à la numérisation. Elle est une véritable révolution qui transforme profondément et rapidement les façons de faire du journalisme et l'industrie des médias.
À cause de la convergence - ou grâce à elle selon le point de vue - les habitudes de fréquentation des médias sont en mutation. Ainsi, les jeunes lisent peu le journal et il faut les rejoindre autrement pour intéresser les annonceurs. Internet est plus attrayant et interactif que les médias traditionnels. Quant à la publicité, elle se déplace sur d'autres supports que le journal quotidien payant ou la station de télévision généraliste comme TVA. Il y a aussi les journaux gratuits qui se multiplient et la concurrence qui est plus forte que jamais.
Le profit maximal
Quebecor a donc de bonnes raisons de réagir aux changements qui frappent tous les médias d'information. Bien rares sont les journalistes qui nient cette réalité. Il faut modifier les façons de faire révolues. Mais on peut questionner la sagesse et la pertinence de provoquer un conflit de travail pour arriver le plus vite possible à de tels résultats. On peut même croire que ce n'est pas pour améliorer la qualité et la diversité de l'information que Quebecor bouscule ses employés. La principale raison est la recherche du profit maximal à court terme, pour plaire aux actionnaires.
Plusieurs chercheurs soutiennent que, depuis le début des années 80, les médias d'information ont négligé leurs fonctions démocratiques et l'intérêt public pour devenir des entreprises très rentables. Surtout lorsque leurs actions se transigent sur les marchés publics de Toronto et de New York. C'est le mode de propriété des médias et la pression des marchés qui favorisent l'implantation accélérée de stratégies de convergence.
Cela a des effets concrets, et parfois douloureux, sur l'organisation du travail des journalistes qui doivent être plus productifs, non pas en termes de qualité de l'information (celle qui est vraie et sert l'intérêt public notamment), mais en termes de volumes de nouvelles et de reportages produits rapidement, adaptés et diffusés sur plusieurs plates-formes (journal, Internet, télévision, baladodiffusion, radio, téléphones cellulaires, etc.). Cela favorise souvent les reportages triviaux et spectaculaires, au détriment de l'enquête sérieuse, de la vérification rigoureuse ou de l'équité.
En soi, la convergence n'est pas nécessairement une menace pour la démocratie. Au contraire, on pourrait soutenir qu'elle permet plus que jamais la diffusion de l'information à des publics de plus en plus différents et mobiles. Mais elle doit se faire dans le respect de l'intégrité du journalisme.
Or, la convergence à la sauce Quebecor est un mélange plus ou moins subtil de journalisme, de publicité, de messages de persuasion, d'autopromotion et d'autocensure. On l'a vu ces derniers mois quand aucun de ses journalistes n'a critiqué ou dénoncé la faiblesse des reportages portant sur la qualité de l'eau des piscines publiques de Montréal ou encore relevé les failles méthodologiques du sondage sur le prétendu racisme des Québécois.
Pourtant, les journalistes de Quebecor sont souvent excellents, contrairement à ce que croient ceux qui les méprisent et portent le deuil d'un âge d'or du journalisme qui n'a jamais existé. Mais ces journalistes sont à la fois des professionnels qui tentent de résister aux pressions de leurs patrons et des employés obligés de s'y soumettre.
De plus, cette convergence est imposée au sein d'une entreprise de presse dont le poids est déterminant au Québec en raison de la très grande concentration de la propriété des médias. Cela permet à Quebecor d'imposer dans le débat public les enjeux qui favorisent ses tirages et ses cotes d'écoute (faits divers, criminalité, racisme, immigration, spectacles, sports, etc.) et de faire le promotion de ses intérêts d'affaires (artistes, disques, spectacles, livres, magazines, etc.). Il devient alors impossible d'échapper aux messages qui saturent le Québec.
L'enjeu réel
Pour l'instant, les questions de la qualité et de la diversité de l'information n'ont pas encore été invoquées publiquement par les parties qui s'affrontent sur la semaine de travail, la souplesse des conventions collectives, le salaire moyen des journalistes, la délocalisation des annonces classées en faveur de l'Ontario, etc.
Espérons que les enjeux journalistiques liés à la stratégie de convergence de Quebecor vont reprendre la place réelle qu'ils méritent dans le débat public. Ce lock-out va bien au-delà des conditions de travail des employés et des profits anticipés par les actionnaires. Il faudrait bien parler, un jour, du grand détournement de la mission démocratique du journalisme afin de satisfaire des intérêts d'affaires. Cela concerne la majorité des médias d'information, mais est encore plus flagrant au sein de l'empire Quebecor.
* L'auteur a travaillé comme journaliste au "Journal de Québec" de 1986 à 2000. À l'invitation du "Soleil", l'auteur analyse certains enjeux liés au lock-out décrété par Quebecor.
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